Si les faits reprochés sont avérés, le procès qui s’est ouvert cette semaine au tribunal judiciaire de Paris pourrait être celui d’une fraude financière majeure et le plus gros scandale à l’épargne privée de ces dernières années en France. La société Aristophil promettait à des particuliers des rendements annuels avoisinant 9 % en devenant propriétaires, en intégralité ou en indivision, de manuscrits originaux de Marcel Proust, d’Honoré de Balzac, du Marquis de Sade, d’André Breton ou de Louis-Ferdinand Céline.
Mais les 32 000 épargnants, appâtés à grand renfort de promesses de plus-values spectaculaires, ont déchanté après que la société a été placée en liquidation judiciaire en 2016. Lorsqu’ils ont réclamé leurs gains et leurs œuvres, la cavalerie s’est effondrée comme un château de cartes. Près de 4 800 plaignants ont saisi la justice, dénonçant une vaste escroquerie présumée, estimée au total à plus de 1 milliard d’euros. Certains ont perdu plusieurs centaines de milliers d’euros.
Gérard Lhéritier, l’ancien fondateur et président de la société, aujourd’hui âgé de 77 ans, comparaît pour « escroquerie en bande organisée » et « pratique commerciale trompeuse ». Il est accusé d’avoir surévalué les prix d’achat des manuscrits anciens proposés aux investisseurs. Sept autres personnes, parmi lesquelles Jean-Claude Vrain, librairie-antiquaire réputé installé près de l’église Saint-Sulpice dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, sont également jugées.
Selon les enquêteurs du pôle financier du parquet de Paris, la fraude reposait sur le modèle de la pyramide de Ponzi : les apports des nouveaux épargnants rémunéraient les intérêts des anciens. Des courtiers commercialisaient les parts de manuscrits, que les plaignants n’ont jamais vus. Les documents étaient conservés par Aristophil, qui délivrait un certificat. La société de Gérard Lhéritier promettait de racheter les œuvres au bout de cinq ans, à un prix majoré.
Après la révélation de l’escroquerie ayant entraîné la faillite de la société de bibliophilie, une première vente aux enchères est organisée à l’hôtel Drouot, le 20 décembre 2017, sous le marteau de Claude Aguttes, pour disperser le fonds – 130 000 pièces ont été saisies. Las, de nombreux lots sont adjugés à des montants largement inférieurs à leurs prix d’acquisition. Lors de leur revente aux épargnants par Aristophil, le prix d’achat des manuscrits était en moyenne augmenté de 147 % et jusqu’à 317 % pour la collection « Académie française », a révélé une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Quelque 300 vacations sur six ans ont été planifiées pour indemniser les pertes des épargnants floués ayant placé une partie de leur capital dans des correspondances et manuscrits d’auteurs célèbres. Quatre maisons de ventes aux enchères réunies sous le sigle OVA – Opérateurs de Vente pour les Collections Aristophil : Aguttes, Artcurial, Drouot Estimations et Ader –, ont organisé ces sessions. Les dernières ventes se sont tenues en octobre et novembre 2022.
Mis en examen, Gérard Lhéritier, surnommé par d’aucuns « le Madoff des livres », dont les conseillers en gestion de patrimoine assuraient un « eldorado sans risque » aux clients d’Aristophil, a vu ses biens saisis. Présumé innocent, il devra répondre à ces chefs d’accusation aux côtés des sept autres prévenus appelés à la barre de la 13e chambre correctionnelle de Paris. Le procès se tient jusqu’au 3 octobre.
