Dans Le Cinéma sans le film, Patrick Nardin explore ce que le cinéma fait aux artistes, à leur imaginaire, au nôtre : « Le film est absent, oublié, invisible, escamoté, défait, et pourtant au sens strict du terme omniprésent, note-t-il. L’histoire du cinéma, ses pratiques techniques, se tiennent hors champ; les artistes ne sont pas engagés dans une révision critique et ce qui soutient leur approche relève davantage de la place que le cinéma occupe dans nos vies et la manière dont il affecte notre perception du monde. »
ENTRE INCONSCIENT COLLECTIF ET IMAGINATION
Le cinéma, comme art populaire de l’image, infiltre massivement la mémoire collective. Ainsi, Patrick Nardin, dès l’ouverture de l’ouvrage, s’intéresse à la maison de Norman Bates dans Psychose (1964) d’Alfred Hitchcock, « archétype de la perversion et de l’horreur ». Sa façade a inspiré en 2016 à l’artiste britannique Cornelia Parker une réplique, Transitional Object (PsychoBarn). En évoquant, dans le titre, « l’objet transitionnel » (et donc la mère) et les granges (« barn ») des premiers colons européens, Cornelia Parker associe la culture de masse aux racines individuelles et nationales, dans une intrication qui mêle le mythe de l’American Way of Life et ses revers aussi sombres que refoulés.
Films sans images (Jay Chung, Nothing is More Practical than Idealism, 2001), cinéma disparu (Davy Chou, Le Sommeil d’or, 2011), film raconté (Pierre Bismuth, Postscript/ The Passenger, 1996) ou salles désaffectées (Yves Marchand et Romain Meffre, Theaters, 2006) hantent la création contemporaine. Patrick Nardin en fait donc le catalogue et l’analyse, avec une gourmandise de cinéphile. Il n’oublie pas les films restés à l’état de projet, destinés à n’exister, et c’est déjà beaucoup, qu’à travers les mots d’un script ou d’un scénario, parfois accompagnés de croquis ou de photographies. Ainsi, le liminaire Monsieur Phot (vu par le stéréoscope) (1933) de Joseph Cornell est « une manière de prendre possession du cinéma par l’imagination, sans se soumettre à une vision préétablie ». Dans certains dispositifs, c’est l’oralité, plus que l’écrit, qui trouve une place singulière : lors des projections de L’Expérience préhistorique (2003) – remake à l’identique mais muet d’un film de Kenji Mizoguchi –, Christelle Lheureux prononce les dialogues et émet des commentaires en direct.
Le cinéma sans le film, ou avec le film grandement modifié, tel qu’il est détourné par les artistes, offre au spectateur un rôle nouveau, moins soumis peut-être au pouvoir hypnotique de la salle obscure et de l’écran. Enfin, ce cinéma devient, assure Patrick Nardin, « un moyen de penser l’art et le monde ».
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Patrick Nardin, Le Cinéma sans le film. Fantômes du cinéma dans l’art contemporain, Berlin/Paris, Naima, 2025, 176 pages, 19,90 euros.
