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Critique

Dans l'antichambre du musée

Le Centre Pompidou, à Paris, donne à voir la collection de Jean Chatelus, qui a récemment rejoint ses fonds, grâce à une donation de la Fondation Antoine de Galbert, sa légataire.

Guitemie Maldonado
23 juin 2025
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Vue de l’exposition « Énormément bizarre. La collection Jean Chatelus, donation de la Fondation Antoine de Galbert », Paris, Centre Pompidou, 2025. ©Centre Pompidou MNAM-CCI/Audrey Laurans

Vue de l’exposition « Énormément bizarre. La collection Jean Chatelus, donation de la Fondation Antoine de Galbert », Paris, Centre Pompidou, 2025. ©Centre Pompidou MNAM-CCI/Audrey Laurans

Dès l’entrée, immédiatement sur la gauche, sans transition, nous voici dans le vif du sujet. Un lit accueille les visiteurs, avec son cadre en acier sombre, équipé à chacun de ses angles d’un moniteur diffusant des images, certaines en direct, d’autres enregistrées : ainsi divulgué, le privé éprouve le public jusqu’en ses plus secrets recoins. Car qui dit lit, dit chambre, dit intimité, dit corps, de la naissance à la mort, et tout ce qu’il y a entre ces deux points ; qui dit lit, dit absence aussi, puisqu’il est et reste vide, installé pour un temps dans un lieu où il n’est pas question de se reposer. Or, Surveillance Bed IV est aussi une œuvre que l’artiste étasunienne Julia Scher a réalisée en 2002, à la demande de Jean Chatelus (1939-2021), lequel y a effectivement passé ses nuits pendant les dernières décennies de sa vie.

« Toutes [les œuvres] étaient trop près de nous, beaucoup trop près,
et à aucun endroit de l’appartement il n’était possible de sortir de leur emprise. »

Celles et ceux qui ont visité l’exposition inaugurale de la Maison rouge, « L’Intime, le collectionneur derrière la porte », en 2004, se souviendront d’ailleurs d’avoir déjà vu Surveillance Bed dans la « chambre » reconstituée qui en était certainement l’espace le plus mémorable, tant on avait l’impression de plonger dans le monde matériel et mental du collectionneur – à l’époque Monsieur O. Si on l’appelle aujourd’hui par son nom propre, celui d’un historien de la période moderne, enseignant à la Sorbonne et auteur d’une thèse sur la condition du peintre à Paris au XVIIIe siècle, c’est avant tout à travers sa collection que celui-ci apparaît et qu’il prend part à l’histoire de l’art des années 1970 à nos jours – à l’image du fonds que le musée national d’Art moderne – Centre Pompidou conserve et que les œuvres avec lesquelles Jean Chatelus a partagé sa vie contribuent désormais à élargir.

UN AMOUR DE L’ACCUMULATION

À la question « Si vous deviez n’en garder qu’une ? », Jean Chatelus avait répondu en 2004 : « Entre tout et rien, je choisis rien… » Il se décrivait comme un « amasseur » plutôt qu’un collectionneur, acceptant le fait qu’« amasser a pour fonction d’emplir un vide ». Un vide qu’ainsi l’on pourrait éviter d’avoir à nommer. Et de vide, il n’y en a guère en effet dans cet accrochage de plus de 500 œuvres, en particulier dans les deux pièces que les commissaires de l’exposition – la Fondation Antoine de Galbert, qui avait été désignée légataire de la collection, Xavier Rey et Annalisa Rimmaudo pour le Centre Pompidou, lequel depuis en a reçu le don – ont pris le parti de reconstituer telles quelles, quoiqu’un peu plus aérées qu’elles ne l’étaient dans l’appartement parisien de leur propriétaire.

Le salon est empli de tout ce qui, entre sculptures, meubles et bibelots, peut se poser au sol, sur une table, un coffre, une cheminée ou une étagère, mais aussi tout ce qui peut s’accrocher aux murs et jusqu’au plafond, photographies encadrées ou suspensions diverses ; les tiroirs sont pleins et certaines œuvres sont elles-mêmes des accumulations (Dans les règles de l’art II de Gérard Deschamps), des boîtes (Zigarren de Wolf Vostell), des meubles (American Serial Killer Memorabilia Cabinet with Manson Vest Placeholder de Justin Lieberman). Les figures de toutes origines sont le plus souvent composites : faites de différents matériaux, de fragments assemblés, entre vivant et mort, animal et machine ; ce sont autant de mises en abyme et de possibles réagencements ou métamorphoses qu’elles se renvoient de l’une à l’autre, chargeant de leurs tensions internes l’espace déjà réduit qui les sépare et s’offrait, dans l’appartement, à une circulation freinée, empêchée : « Aucune distance de sécurité n’y était respectée », écrit Sophie Delpeux dans le catalogue, les œuvres « franchissaient la limite de notre espace intime », « toutes étaient trop près de nous, beaucoup trop près, et à aucun endroit de l’appartement il n’était possible de sortir de leur emprise ».

Vue de l’exposition « Énormément bizarre. La collection Jean Chatelus, donation de la Fondation Antoine de Galbert », Paris, Centre Pompidou, 2025. ©Centre Pompidou MNAM-CCI/Audrey Laurans

UN CABINET DE CURIOSITÉS

Le bureau, tout aussi densément occupé – par des œuvres d’art occidental ou non, d’art brut ou par des objets d’art populaire et des bibelots – a tout du cabinet de curiosités. Il rappelle le mur de l’atelier d’André Breton qu’héberge la même institution, et le fait que c’est par le biais du surréalisme et de ses circuits de diffusion d’après-guerre que Jean Chatelus est arrivé à l’art contemporain, à l’avènement duquel il a assisté au début des années 1970, à la première Foire de Bâle ou à la Documenta 5 organisée par Harald Szeemann. On en perçoit la marque dans la présence de la performance (Dennis Oppenheim, Gina Pane) et de l’art conceptuel (Hanne Darboven), mais aussi de ces « mythologies individuelles » (Christian Boltanski) qui y ont été mises au jour et dont le fil semble courir entre un grand nombre d’œuvres de sa collection, des plus anciennes aux plus récentes. Sous le titre « Énormément bizarre » – formule par laquelle l’avait qualifiée Wim Delvoye, dont un porc tatoué naturalisé, Priscilla, habitait dans le salon –, l’exposition présente encore la collection comme un ensemble, en partie déjà recomposé toutefois. Ainsi, Asteral, la sculpture suspendue de Madeleine Berkhemer, est-elle placée à l’écart du lit qu’auparavant elle surplombait, de même que la châsse de sainte Philomène, dont Gérard Wajcman montre, dans le catalogue, tout ce qu’elle peut donner à comprendre de la collection, en lien avec l’intimité et la dévotion.

« Énormément bizarre » est donc la dernière occasion de voir les œuvres et objets amassés par Jean Chatelus comme cet ensemble dans lequel il vivait, en collectionneur sans réserve, gardant tout à proximité, autour de lui. De cet état témoigneront des images, des souvenirs et l’inventaire publié dans le volumineux catalogue, résultat d’importantes recherches menées par la Fondation Antoine de Galbert. C’est le début du processus d’assimilation de cet ensemble par un autre, constitué et organisé suivant d’autres critères et d’autres intentions (catégorielles et globalisantes), dont il fait ressortir, en retour, la part d’ombre, d’inquiétude et d’obsession : avec, par exemple, l’adjonction de The Martyr de Robert Morris, peinture baroque enchâssée dans un cadre monumental orné d’ossements, aux autres œuvres de l’artiste, minimales, conceptuelles ou liées à la scène, que conservait jusqu’alors le Centre Pompidou. Reste donc à voir ce que ces œuvres feront dans et à ce nouveau voisinage : y feront-elles bouger les lignes, ces corps pour certains étrangers et toujours singuliers ? Continueront-elles à empêcher l’esquive, privées de leur proximité extrême, dans l’espace autant que dans l’expression ?

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« Énormément bizarre. La collection Jean Chatelus, donation de la fondation Antoine de Galbert », 26 mars - 30 juin 2025, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris.

ExpositionsCentre PompidouJean ChatelusFondation Antoine de GalbertParis
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