Robert Irwin
Au cours de sa longue et prolifique carrière, Robert Irwin (1928-2023) n’a cessé d’affirmer qu’il n’était d’autre sujet en art que la perception humaine. C’est au début des années 1990 qu’il introduit des tubes fluorescents dans ses environnements en écrans de voile, mais ce n’est qu’en 2008 qu’il prend la décision de les employer seuls pour des compositions murales qui tiennent de la sculpture et du tableau. Huit de ces compositions sont aujourd’hui montrées dans cette dernière exposition conçue par l’artiste avant sa disparition. Chacune est faite d’un alignement de tubes verticaux de même longueur (environ 1,8 m pour cette série) et de leurs fixations. Irwin avait déclaré avoir décidé de les employer de la façon la plus bête possible, c’est-à-dire en négligeant la forme pour ne se préoccuper que de la lumière, la couleur, l’ombre et les possibilités rythmiques offertes par leur jeu. Les tubes accrochés seuls ou par deux sont enveloppés d’une ou plusieurs gélatines colorées, mates ou brillantes, du type de celles employées au théâtre. Irwin y adjoint des touches de noir ou de blanc avec des bandes adhésives fixées sur toute la longueur des tubes ou sur les côtés des fixations. Un léger intervalle entre les bandes d’adhésif permet à la couleur de percer. Certains des tubes ne sont pas branchés mais ils réfléchissent la lumière des tubes voisins, si bien qu’on hésite à les croire éteints. Ils captent aussi les effets de rémanence et ceux entre couleurs complémentaires. Les ombres projetées dans les intervalles entre les tubes sont constitutives des compositions et, selon l’intention déclarée de l’artiste, détruisent les fixations. Les distinctions entre figure et fond, physique et optique, s’en trouvent bouleversées.
Outre les œuvres murales est présentée une colonne en plaques d’acrylique teintées de 3 m de hauteur. Les plaques en trois couleurs, vert, rouge et gris, sont disposées en V. Ce n’est pas une sculpture mais un instrument d’expérimentation qui modifie notre perception de l’espace. Si un autre visiteur est présent en même temps que nous, il peut disparaître ou se morceler. C’est l’art d’Irwin dans toute sa grandeur et sa force concentrée.
Du 21 mai au 19 juillet 2025, White Cube, 10, avenue Matignon, 75008 Paris

Vue de l’exposition « Mona Filleul : Air de Tranny » chez Air de Paris, Romainville. Courtesy Air de Paris
Mona Filleul : Air de Tranny
« Tranny » est, en argot américain, l’équivalent de « travelo » ou de « trav », un terme dépréciatif que Mona Filleul reprend à son compte avec gaieté et raillerie. Elle a conçu son exposition de la manière la plus ouverte qui soit. Dans son principe d’abord, puisque Mona Filleul a invité six artistes sœurs à y présenter des œuvres de toutes sortes et dimensions ou à performer le soir de l’inauguration. Des polaroïds pris à cette dernière occasion forment, avec une bouteille de bière, une petite construction sur un rebord de fenêtre, comme une fête qui ne veut pas finir. Ouverte, l’exposition l’est ensuite dans ce qui s’apparente à une scénographie et qui est davantage que cela : un support de création et une création en elle-même. Il s’agit de trois grands cubes matérialisés par des ossatures métalliques pour cloisons avec quelques plaques d’isolation glissées à l’intérieur. Les plaques sont exposées telles quelles ou retravaillées et servent aussi de cimaises. Mona Filleul y a aussi découpé des niches et inséré notamment des bas-reliefs qui sont autant de minuscules fenêtres sur des scènes intimes : un gros plan sur un profil féminin avec un vrai pendant d’oreille en faux diamant, la vision d’une étreinte de deux corps en combinaison satinée. Les invitées sont intervenues dans tous les coins et recoins, certaines de façon ultra-voyante, d’autres au contraire par des constructions fragiles ou par une discrète diffusion sonore. Si l’artiste invitante est bien évidemment davantage représentée, il souffle véritablement un esprit collectif. Il n’y a pas plus de hiérarchie que de distinction entre dehors et dedans, matériel d’exposition et objet exposé. Dans un coin de la salle, figure un lit défait, un matelas au sol avec quelques accessoires qui marquent une présence. Le vrai sujet, c’est cette utopie collective, d’autant plus belle qu’elle paraît symboliquement et physiquement en construction.
Du 23 mai au 12 juillet 2025, Air de Paris, 43, rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville

Vue de l’exposition « Joachim Bandau : Lignes de fuite », Galerie Maubert, Paris. Courtesy de l’artiste et Galerie Maubert
Joachim Bandau : Lignes de fuites
En 1976, Joachim Bandau, artiste reconnu par ses sculptures à mi-chemin du pop et de la science-fiction, a une révélation en découvrant Bunker Archéologie, le livre que Paul Virilio vient de consacrer à ces architectures spécifiques. Pour Joachim Bandau, qui, enfant, a vécu les bombardements de la Ruhr, c’est l’occasion de repenser entièrement sa démarche et, en particulier, de renoncer à la sculpture pour se consacrer au dessin. S’inspirant d’abord des photos de Virilio, il en vient très vite à concevoir des architectures fictives, à imaginer des alignements de bunkers ou de baraquements avec un trait d’artiste et une liberté plus ou moins affirmée. En s’appropriant ces formes, Joachim Bandau définit peu à peu une voie nouvelle vers l’abstraction. Il reprend la sculpture, d’abord avec l’image en tête du bunker, puis l’oubliant pour s’orienter vers le minimalisme. L’exposition rend compte de ce développement et le confronte à une série de dessins entamée dans les années 1970, que l’on pourrait considérer comme le versant apaisé de l’œuvre. Pour ces dessins, usant d’un pinceau plat japonais, il superpose des rectangles peints en gris clair à l’aquarelle, réduisant progressivement leur dimension. Il en résulte la vision de plaques transparentes qui, par empilement, en arrivent à produire un noir profond.
Du 24 mai 2025 au 2 août 2025, Galerie Maubert, 20, rue Saint-Gilles, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Cédric Rivrain : Crack a smile » organisée par la Fitzpatrick Gallery au Grand Garage Haussmann. Courtesy of the artist and Fitzpatrick Gallery. Photo Thomas Lannes
Cédric Rivrain : Crack a smile
Dans un grand garage désaffecté [où s’est déroulée la Foire OFFSCREEN Paris], Cédric Rivrain présente sur six niveaux une vingtaine de portraits de proches, amis, amants, vivants ou disparus. Ces portraits trouvent leur inspiration dans le selfie ou le portrait classique, jouant aussi à effacer la distinction entre les deux. Lorsqu’il peint un ami vu à travers la fenêtre d’un bus, celui-ci est ramené à un jeu de lignes plates, mais lorsqu’il peint un nu à la fenêtre ou devant un miroir, il joue au contraire d’un effet de trompe-l’œil. Les deux plus grand format verticaux montrent, pour l’un, un nu masculin dans le cadre d’une porte entrouverte, et, pour l’autre, un autoportrait devant un trumeau coupé à mi-corps. Dans le premier tableau, le cadre de la porte marque la limite du plan pictural, et, dans le second, le tiers inférieur est le carré noir sur fond gris que forme le rideau de cheminée. Ce sont deux façons de spéculer sur l’histoire du portrait en peinture et de créer un effet de proximité. Les sujets sont peints nettement mais les fonds sont vaporeux, à la Vilhelm Hammershøi, dans des tons de gris, bleu ou rose. Dans ce registre de l’intime, Cédric Rivrain peut aussi bien peindre une photo avec son cadre, flirter avec la banalité d’un portrait au chat pour album de famille, que choisir la franchise d’un nu accroupi, main droite posée sur le smartphone en charge. Si les quelques nus à la fenêtre sont moins idéalisés, en cela qu’ils supposent un spectateur à même hauteur, d’autres tableaux versent nettement dans le rêve. C’est le cas avec ce cygne aux prises avec un aspirateur, mais aussi de ce portrait d’un homme en slip juché sur un cheval couché, qu’il peint avec une délicatesse de garçon coiffeur ; ou encore de ce nu sur un cheval en révérence. Au selfie et au portrait classique, s’ajoute le style délicatement suranné de la photo de charme.
Sur rendez-vous, du 24 mai au 22 juin 2025, Fitzpatrick Gallery, Grand Garage Haussmann, 43- 45 rue de Laborde, 75008 Paris