Lorsqu’elle reçoit, en 2024, la Grande Médaille d’or de l’Académie d’architecture française, l’architecte anthropologue Salima Naji a derrière elle un engagement de plusieurs décennies en faveur de l’architecture vernaculaire en terre crue. Son approche holistique et écoresponsable lui a permis de mener à bien plusieurs travaux de rénovation : ceux des greniers collectifs du Moyen Atlas, auxquels elle a consacré en partie sa thèse de doctorat, ou, dans le sud du Maroc, ceux de la kasbah Aghenaj, à Tiznit, où elle réside, pour lesquels elle a employé des matériaux de construction tels que la pierre, la terre crue ou des fibres de palmier, considérées, jusqu’en 2015, comme des éléments décoratifs et non structurels par les réglementations d’urbanisme.
La kasbah, ou forteresse, d’Agadir, détruite en 1960 par un tremblement de terre, reste à ce jour l’une de ses rénovations les plus ambitieuses. « La restauration propose une sorte d’écorché du bâtiment qui aide à le regarder dans toutes ses composantes, explique Salima Naji. Le privilège d’un architecte est de comprendre comment a été conçu un édifice. Cette archéologie du bâti permet de ne pas improviser pour le sauver et de montrer ensuite comment dialoguent différentes temporalités d’un lieu palimpseste. »
Restauration Historique
Son intervention la plus récente concerne une architecture datant de 1913 : la villa Carl Ficke, à Casablanca, du nom d’un entrepreneur allemand fusillé en 1915 par la puissance coloniale pour complicité avec l’ennemi. À rebours de l’imagerie traditionnelle associée à la ville, Salima Naji a choisi de mettre en avant la couleur ocre jaune de la bâtisse d’origine. « Tout le sol casablancais est formé de grès jaune dunaire, de limon, de calcaire et de sable, précise l’architecte. Lorsqu’on creuse à moins de 5 mètres, on retrouve ces couches qui ont façonné l’enduit et donné sa couleur à cette demeure. »
Pour cette rénovation, Salima Naji a accompli un double travail pédagogique et historique, cherchant à contextualiser la construction : « Je souhaitais que les gens comprennent comment la villa avait été bâtie, antérieurement aux maisons Art déco du quartier. La référence de Carl Ficke est le palais de Sanssouci, à Potsdam [Allemagne]. Il a simplement voulu s’identifier [au roi de Prusse] Frédéric II ! » Gérée désormais par la Fondation nationale des musées, la villa a été transformée en musée de la Mémoire de Casablanca, lequel a ouvert ses portes à la fin février 2025.
Interventions Contemporaines
Depuis sa participation à l’exposition « L’Esprit du geste », à l’Institut des cultures d’islam, à Paris, il tient à Salima Naji de collaborer à ce type de manifestations, qu’elle considère comme un prolongement de son travail d’architecte. Son installation Dans les bras de la terre, commandée par le MACAAL (musée d’Art contemporain africain Al Maaden), à Marrakech, pour sa réouverture en février 2025, entièrement réalisée à partir de terre crue et de bois de palmier, a frappé les esprits par son aspect à la fois enveloppant et monumental. « C’est dans l’art contemporain que l’on aborde, sans doute, aujourd’hui, plus rapidement que dans les sciences humaines, des questions comme la décolonialité », nous confie-t-elle. Ses œuvres ne sont pas à vendre. Confectionnées avec des matériaux exogènes, elles retourneront à la terre.
Pour l’heure, en collaboration avec Sonia Recasens et les étudiants de l’École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux, elle prépare une installation qui prendra place dans une exposition collective d’artistes marocains au Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA. « Nous travaillons actuellement avec des terres draguées dans la baie d’Arcachon qui serviront à fabriquer des briques, lesquelles seront le socle de la structure, précise-t-elle. L’enjeu est de montrer que ce matériau récupéré est aussi une matière noble, écologique par excellence, puisque employée dans un cycle de réutilisation de la terre crue à l’infini. » Avec Alexis Sornin, le directeur des musées Yves Saint Laurent Marrakech et Pierre Bergé des arts berbères, Salima Naji assure par ailleurs le commissariat de l’exposition Amazighes : cycles, parures, motifs, présentée au Mucem, à Marseille. « Dans le cadre de mes études artistiques, mes premières recherches portaient sur l’architecture amazighe par le biais d’une approche de l’intérieur, ethno-esthétique, rappelle-t-elle. La reconnaissance de cette culture passe par des perspectives renouvelées : vivantes, les pratiques anciennes rencontrent les enjeux contemporains. » Comme pour l’architecture, il s’agit de prendre conscience que le patrimoine matériel et immatériel marocain doit rester pérenne.