Les grandes ventes aux enchères de printemps de New York, qui débutent ce 12 mai, sont déjà affectées par les turbulences du second mandat du président Donald Trump, le chaos du « jour de la libération » ayant entraîné des pertes au cours de la période de consignation. Au moins une œuvre à huit chiffres, négociée pour être vendue aux enchères par Phillips, a été retirée cette saison, selon le vice-président de la maison, Robert Manley. « Nos ventes de cette semaine auraient été plus importantes sans l’augmentation des tarifs douaniers », a-t-il déclaré à The Art Newspaper.
« Les tarifs douaniers et les fluctuations boursières qui s'ensuivent sont vraiment arrivés au pire moment – exactement ce dont un marché délicat n'a pas besoin », a fait observer Clare McAndrew lors de la publication de son rapport annuel Art Basel & UBS Art Market Report, qui a révélé que les ventes aux enchères ont baissé pour la deuxième année consécutive en 2024, chutant de 24 % aux États-Unis.
À en juger par les offres de cette semaine, ce ralentissement doit encore s'inverser : les ventes aux enchères modernes et contemporaines de Christie's, Sotheby's et Phillips proposent sur le marché des œuvres d'art estimées pour un montant situé entre 1,1 et 1,5 milliard de dollars, soit l'estimation totale la plus basse pour les ventes de printemps depuis 2010, et environ 250 millions de dollars de moins qu'en mai 2024. Aucun lot avec une estimation à neuf chiffres n'a été mis aux enchères publiques cette saison.
Ces ventes reflètent également le malaise du marché de l'art durant ces deux dernières années : l'incertitude politique et la perception d'un marché faible continuent de dissuader les collectionneurs de se séparer de leurs meilleures œuvres, ce qui se traduit par de faibles ventes. Selon les données compilées par les analystes de Pi-ex, le nombre de lots catalogués est le plus bas de toutes les semaines de ventes de mai depuis 2007, sans compter les années 2020 et 2021, années de pandémie de Covid-19, ainsi que 2009, année de la récession mondiale.
« Ces ventes seront suivies de près car elles seront les premières à établir un indice sur ce à quoi nous pouvons nous attendre sous la nouvelle administration », explique le conseiller en art Alex Glauber. En d'autres termes, les résultats de cette semaine aideront à déterminer si l’ère Trump 2.0 va conduire à une autre année aberrante, semblable à celles de la pandémie. « Nous n'assistons pas à des ventes discrétionnaires et opportunistes ; les situations sur lesquelles les gens pensent pouvoir capitaliser se sont taries, poursuit-il. En tant que vendeur, si vous pouvez vous permettre d'attendre plus tard, je pense que vous le faites. »
Les lots « trophées » étant difficiles à consigner, les œuvres les plus prisées cette semaine continuent à provenir principalement de collections de propriétaires uniques. « En ces temps difficiles, il est logique que les maisons de vente aux enchères concentrent leurs efforts sur les successions plutôt que sur la recherche d'œuvres uniques », explique Alex Glauber.
Christie's a mis la main sur le plus grand ensemble de la saison : la collection de Leonard Riggio, fondateur de Barnes and Noble, et de son épouse Louise, d'une valeur de 200 millions de dollars, dont une grande partie était conservée dans leur maison de Bridgehampton. Le joyau de la collection est une peinture de Piet Mondrian, Composition with Large Red Plane, Bluish Gray, Yellow, Black and Blue (1922). Estimée aux alentours de 50 millions de dollars et garantie par la maison de ventes, elle pourrait battre le record de 51 millions de dollars de l'artiste. L'indicateur de marché le plus clair de la collection Riggio sera peut-être un tableau de la très convoitée série L'empire des lumières de René Magritte. Achetée par les Riggio en novembre 2023 pour 34,9 millions de dollars, la capacité – ou l'échec – de l'œuvre de 1949 à fournir un retour rapide sera un bon test pour la santé du segment supérieur du marché.
Collections clés
La vente du soir du XXe siècle de Christie's propose quant à elle des œuvres, estimées au total à environ 50 millions de dollars, en provenance de la collection d'Anne et Sid Bass. Le lot phare de cet ensemble est la peinture de Mark Rothko No. 4 (Two Dominants) [Orange, Plum, Black] (1950-1951), qui fait partie de la collection du Bass Museum of Art depuis 1980. D'une valeur d'environ 35 millions de dollars, elle bénéficie de la garantie d'un tiers.
En l'absence de collections d'une taille similaire, Sotheby's met en vente celles de deux marchandes d'art renommées. Daniella Luxembourg propose 15 œuvres italiennes d'après-guerre, parmi lesquelles Fine di Dio (1963) de Lucio Fontana, dont la poussière de diamant « donne une tridimensionnalité à la surface », selon la galeriste. Après cette vente, 12 œuvres ayant appartenu à la regrettée galeriste new-yorkaise Barbara Gladstone, toutes non garanties, seront proposées, dont une peinture de Richard Prince, Nurse, provenant de son exposition de 2003 à la Gladstone Gallery (estimée entre 4 et 6 millions de dollars). Un porte-parole de Sotheby's a refusé de commenter pourquoi il n’y avait pas de garantie.
Bien que Sotheby's n'ait pas souhaité discuter des raisons qui ont poussé Daniella Luxembourg à vendre, cette consignation est considérée comme un signe de confiance dans le marché. « Ce qui est intéressant, c'est que Daniella choisit de vendre maintenant, note Lisa Dennison, présidente de Sotheby's Americas. Je pense qu'elle a confiance dans les œuvres, dans nos estimations et dans les garanties. Il y a donc des ventes discrétionnaires et, avec une garantie, vous êtes protégé en cas de baisse. »
Sotheby's a également obtenu le lot le plus important de la saison : une tête de Giacometti datant de 1955, modelée d'après son frère Diego, et estimée à 70 millions de dollars. Elle provient de la collection du promoteur immobilier Sheldon Sollow et est vendue au profit de sa fondation.
« Il s'agit de l'une des sculptures les plus importantes de Giacometti, et donc de la seconde partie du XXe siècle », selon Grégoire Billault, président du département d'art contemporain de Sotheby's. Sur les six exemplaires de cette fonte, celui-ci est le seul à avoir été peint à la main, et trois d'entre eux se trouvent dans des musées de premier plan. « Nous n'obtenons une œuvre de ce calibre que tous les trois ans environ », précise-t-il.
Malgré l'obtention du Giacometti, la perte de la collection Riggio a réduit les perspectives de résultats exceptionnels pour Sotheby's. L'estimation totale de la maison de ventes avant les vacations de la semaine se situe entre 485,1 et 673,4 millions de dollars pour l'ensemble des ventes aux enchères (y compris les ventes de jour), ce qui est inférieur à l'estimation totale de Christie's qui se situe entre 612 et 829 millions de dollars. Sotheby's souligne que son estimation totale augmente considérablement si l'on tient compte d'une autre vente importante à New York ce mois-ci : la collection Saunders, estimée entre 80 et 120 millions de dollars, qui est présentée comme la collection la plus chère dans son domaine. « L'inclusion d'une vente de maîtres anciens dans une saison d'art moderne et contemporain contribuera certainement à soutenir les ventes moins importantes », analyse Alex Glauber.
Des accords flexibles
Le total des ventes de Phillips cette saison est estimé entre 74,7 et 108,9 millions de dollars avant la vente. Sa vente du soir de 40 lots est dominée par une peinture de 1984 de Jean-Michel Basquiat, estimée entre 4,5 et 6,5 millions de dollars. « La vente de cette année est tout à fait comparable à celle que nous avons organisée en mai dernier, sauf que nous avions alors un Basquiat de 40 millions de dollars, ce qui fait une grande différence », explique Robert Manley. Phillips n'a pas de garanties internes pour cette vente, ajoute-t-il : « c'est une saison où l'on prend moins de risques ».

Wayne Thiebaud, Happy Birthday (1962) est inclu dans la vente du soir de Phillips. Courtesy Phillips
L'aversion pour le risque se fait également sentir en coulisses, selon un certain nombre de conseillers qui se sont entretenus avec The Art Newspaper. Bien qu'il soit trop tôt pour évaluer pleinement les garanties de tiers, qui ne sont généralement finalisées que quelques heures avant la vente, de nombreux conseillers ont témoigné d'arrangements plus souples dans les maisons de vente aux enchères. « Je remarque un plus grand nombre d'offres groupées de garanties de tiers, tandis que les vendeurs semblent prêts à accepter des estimations plus basses, confie la conseillère Courtney Pettit, de Pettit Art Partners. Toute personne qui vend peut accepter une offre qu'elle n'aurait pas acceptée il y a six mois, ou renoncer à la vacation en attendant que les marchés se stabilisent. »
Pour prédire les performances de cette semaine, on peut se tourner vers des ventes récentes moins médiatisées, où l'incertitude de la présidence Trump 2.0 se reflète dans un marché plus imprévisible. Christine Bourron, directrice générale de Pi-ex, explique que si « un marché baissier continue de freiner l'appétit général », des estimations plus prudentes séduisent également les enchérisseurs, « ce qui rend le marché plus volatil ». Elle cite en exemple une vente d'art américain qui s'est déroulée le mois dernier à New York chez Christie's et qui, grâce à l'absence de garanties, a offert « un regard rare et sans filtre sur le marché de l'art new-yorkais ».

Georgia O’Keeffe, Leaves of a Plant (1942) fera partie de la vente du soir d'art moderne de Sotheby's le 13 mai, avec une estimation de 8 à 12 millions de dollars. Courtesy Sotheby’s
Trois tableaux similaires de Georgia O'Keeffe, avec la même estimation basse de 1 million de dollars, ont été proposés lors de la vente et ont tous connu des résultats très différents : l'un a été adjugé à 2,3 millions de dollars, l'autre est parti à 900 000 dollars et le dernier a été racheté par la maison de ventes. « En ce moment, sur le marché de l'art, les hauts résultats sont plus élevés et les bas plus bas, explique Christine Bourron. Ce n'est pas une mauvaise chose. Les gens ont peur de la volatilité, du risque, mais c'est aussi à ce moment-là que l'on peut faire les plus grosses plus-values. »