Vous attendiez-vous à un tel succès du Plus Grand Musée de France ?
Je l’espérais. Je m’y attendais. Il me paraissait répondre à la fois à un besoin et à une envie. Si la France a la chance d’avoir su se doter de lois excellentes pour assurer la protection de son patrimoine, en même temps que d’une administration, d’une compétence unanimement reconnue en France et à l’étranger, pour appliquer ses lois, que pourrait valoir tout cela sans un soutien citoyen et populaire à son action ?
J’avais donc la conviction que ce projet serait capable de mobiliser beaucoup de passionnés. Et tout a commencé de façon très amusante. Les deux patrons de la Junior Entreprise de l’École du Louvre, Guillaume Denniel et Léopold Legros, étaient présents dans mon bureau où ils étaient venus me solliciter pour des conseils pour la Junior Entreprise qu’ils venaient de lancer lorsque j’ai échangé au téléphone avec un ami à qui je confiais mes interrogations sur la façon de mettre en œuvre cette idée. Cela n’est pas tombé dans l’oreille de deux sourds – et je n’avais pas tenu ces propos par hasard non plus. Sitôt que j’ai raccroché, ils ont proposé de s’en occuper et une semaine plus tard, ils étaient déjà prêts et nous partions en campagne.
Pourquoi justement les objets ?
J’ai été pendant un quart de siècle président de la Société des amis de Versailles. Un de mes objectifs était le remeublement du château et j’ai donc consacré beaucoup de temps à la chasse aux objets. Et puis, il y a mon histoire personnelle. Comme beaucoup de petits Français, ce sont mes grands-mères qui m’ont fait découvrir les belles choses. Adolescent, j’ai vécu les massacres dans les églises de Bretagne où on les démolissait et où les curés vendaient les statues. Cela m’avait profondément peiné, malgré mon jeune âge. Cette idée de sauver les objets du chanci, ou du mérule, ou d’une chute, ou d’un incendie m’a donc toujours habité.
En dix ans, qu’est-ce qui vous a le plus étonné ?
Rien ne m’étonne. Ce qui n’est pas un étonnement mais une joie renouvelée, c’est de voir que tous les jeunes sont susceptibles d’aimer les belles choses si on les leur présente. Tout le monde est ouvert au beau, à condition de le connaître. Et plus les gens sont jeunes, plus ils sont ouverts à la découverte. Mais, ce qui pour ma part me touche le plus, c’est sans doute la découverte de leur patrimoine de proximité par des élèves du secondaire, et à travers elle, le bonheur qu’ils trouvent à admirer ce qui est beau et leur est si proche, à s’en instruire et à s’en découvrir propriétaires et responsables.
Comment n’avoir pas été heureux de partager, comme j’ai eu la chance de pouvoir le faire, la fierté des enseignants de la classe du Lycée Professionnel Georges Guynemer de Dunkerque, quand leurs élèves, dans une tenue impeccable, ont exprimé avec clarté et fermeté leur préférence pour des restaurations de leur choix, grâce aux 10 000 euros qui leur avaient été donnés, à eux, pour le faire, et d’avoir vu des maires des communes environnantes suspendus à la décision des élèves, qu’ils ont tous acceptés de bon cœur.
Outre les 24 classes de lycéens, 400 étudiants et étudiantes, 3 000 salariés d’entreprise ont participé à la campagne. Est-ce une façon d’ancrer les entreprises dans les terroirs ?
Les entreprises découvrent que le sujet du patrimoine leur vaut des sympathies. Il n’y a pas que le sport qui intéresse les Français. Leur enracinement local, à travers le patrimoine, est essentiel. C’est extrêmement enthousiasmant de découvrir combien les salariés du groupe Michelin, du groupe Allianz, de la Caisse d’Épargne, et du Crédit Agricole ont participé, chacun à leur manière à de semblables chasses aux trésors, avec des découvertes souvent extraordinaires, et aussi la joie des maires de village dont le patrimoine a été redécouvert du fait de leur implication et sauvé grâce à l’argent qu’ils leur ont donné. Cela devient une grande affaire de famille.
Quel est votre meilleur souvenir ?
C’est une question difficile. Peut-être la première œuvre que nous avons sauvée, le Christ bénissant de José de Ribera découvert par Michel Laclotte juste avant le lancement de l’opération dans le dernier endroit où on aurait songé à chercher un Ribera, derrière un confessionnal, et aujourd’hui visible au musée des Beaux-Arts de Rennes.
J’ai beaucoup de beaux souvenirs et quand on y songe, c’est l’ensemble qui est remarquable. Que pèsent tant d’engagements et d’efforts menés en dix ans devant l’immensité de la tâche à accomplir et toujours à renouveler ? Vous me permettrez une analogie. Il y a quelques années, à la suite de la construction de Parly II sur une colline dominant la plaine de Versailles, le Grand Canal, une des pièces d’eau les plus célèbres du monde, s’est retrouvé asséché, sans qu’on puisse comprendre pourquoi. C’était, on l’a découvert plus tard, qu’elle était alimentée par d’innombrables petites rigoles, canalisées en bois au Grand Siècle, que nos modernes bulldozers avaient détruites, sans même avoir remarqué leur existence. Les petits ruisseaux font les grandes rivières : il faut en préserver les sources vives, ce que la Sauvegarde de l’Art Français s’efforce de faire depuis plus de cent ans. Le meilleur cours d’eau dont nous avons besoin, c’est le soutien des pouvoirs publics. Sans eux, nous ne pourrons rien faire. Et bien sûr les mécènes !