Depuis une quinzaine d’années, Bertille Bak (née en 1983) entreprend des projets participatifs. L’artiste a pour habitude de poser ses valises au sein de communautés qui se trouvent à un tournant de leur histoire : familles d’anciens mineurs dans le nord de la France, Tsiganes en banlieue parisienne, résidents d’un immeuble bientôt démoli en Thaïlande ou encore religieuses à la retraite. Autant de groupes chez qui elle séjourne des mois durant pour inventer, avec eux, des manières fictionnelles de « les raconter ». D’un lieu (les corons du bassin minier, un campement, un Ehpad, etc.), explique-t-elle, découlent des rencontres à l’origine de ces récits renouvelés, de ces représentations inexplorées. Guidée par une grande curiosité, la plasticienne s’intéresse à la vie quotidienne, à la culture, aux rituels, aux gestes, sans toutefois porter sur ces derniers un regard analytique ni descriptif – aussi récuse-t-elle le terme d’artiste-ethnologue. Par le biais de la loufoquerie, du grotesque, de l’absurde ou de la causticité, elle exprime dans ces fables une vision subtilement politique. La vidéo tient une place centrale dans le travail de cette ancienne étudiante de Christian Boltanski. Souvent elle s’accompagne de dessins, de sculptures ou d’objets conçus en collaboration avec les personnes qui l’ont accueillie.
Pour le prix Marcel-Duchamp, Bertille Bak propose, sous la forme d’une installation vidéo, le premier volet d’une vaste recherche sur les fêtes dotées d’un emblème végétal (la Saint-Valentin et son bouquet de roses, le 1er Mai et son brin de muguet, Noël et son sapin, etc.). Dans ce cadre, elle a emprunté les routes des fleurs aux Pays-Bas puis en Colombie – principaux pays producteurs et exportateurs de fleurs. Elle y a observé une industrie en surproduction qui manipule et pollue la nature tout en générant « des flux aériens aberrants ». Elle y a aussi découvert des traditions locales, telle la Feria de las Flores à Medellín. Ce festival célèbre depuis 1957 les silleteros, autrefois marchands de fleurs ambulants et désormais paysans, qui défilent avec de riches compositions ornementales sur le dos. Bertille Bak a alors imaginé, avec certains d’entre eux ainsi qu’avec des femmes d’un club du troisième âge, Nature morte, une fiction d’une durée de 23 minutes exposant, avec humour et sensibilité, quelque chose de ce monde tiraillé entre douceur et violence. Devant l’écran supporté par une imposante structure métallique sont placés des tabourets agrémentés de tissus aux motifs floraux des plus désuets, un dispositif qui suggère cette même ambiguïté.
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« Prix Marcel-Duchamp 2023. Les nommés », 4 octobre 2023-8 janvier 2024, musée national d’Art moderne – Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris.