Precious Okoyomon : It’s important to have ur fangs out at the end of the world
Precious Okoyomon est poète autant qu’artiste et « It’s important to have ur fangs out at the end of the world » (Il est important de montrer les crocs à la fin du monde) est aussi le commencement d’un des trois poèmes qui accompagnent l’exposition et lui donnent sa tonalité. Chacun de ces poèmes commence par le « souvenir de peurs enfantines et de salut divin, pour glisser vers des visions apocalyptiques de fleurs enflammées et de ciel qui s’effondrent ». Pour autant, l’exposition n’est pas l’illustration des poèmes et si l’on peut voir des fleurs enflammées dans une peinture sur verre rétro-éclairée, celles-ci transmettent davantage de joie, voire d’exaltation, que de terreur. Sur les murs de la galerie ont été peint des faces rondes avec, à l’intérieur, deux cercles et deux points pour les yeux. Ce sont des microsphères qui pointent drôlement leur regard sur la situation, incarnation de la vie intérieure selon Peter Sloterdijk. Une figure est omniprésente dans l’exposition, celle d’un ourson jouet agrandi à la taille d’un enfant, en résine. Au milieu de l’escalier menant à la galerie d’exposition, il est sur le dos, pattes arrières relevées. À l’étage, on en trouve un, les fesses dressées vers le plafond, et deux autres qui, derrière un grillage, semblent engagés dans un rapport de domination-soumission. Ces ours portent des petites culottes translucides qui, par une ouverture, laissent dépasser leur petite queue ronde. Dans leurs pupilles, on voit des flammes mais aussi un cœur, et ce dernier motif se retrouve aussi sous leur pattes. Ces flammes peuvent être le reflet d’une vision apocalyptique comme l’expression d’une rage envers les modèles imposés par l’éducation. Une grille et des petites culottes suffisent à semer le trouble dans le vert paradis. L’ourson vaut aussi pour notre relation au monde et, non sans raison, Claude Adjil cite dans son texte introductif l’objet transitionnel de Winnicott. Tout paraît simple et tout est double dans l’univers de Precious Okoyomon, et l’animal qui alimente les peurs est aussi là pour nous réconforter.
Du 20 octobre 2025 au 17 janvier 2026, Mendes Wood DM, 25 place des Vosges, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Allora & Calzadilla : Sensing » à la Galerie Chantal Crousel. Courtesy of the artists and Galerie Chantal Crousel. Photo Jiayun Deng – Galerie Chantal Crousel.
Allora & Calzadilla : Sensing
Le pouls de la terre est ce « faible signal récurrent détecté toutes les 26 secondes par des stations sismiques ». Allora & Calzadilla ont choisi quelques enregistrements graphiques du phénomène sur 24 heures en quelques points précis qu’ils ont regroupés par deux et sérigraphiés en une couleur sur toile. Sur ce fond, ils ont peint à l’acrylique en deux couleurs des lignes qui se répètent, se chevauchent et se resserrent sur toute la surface de la toile. Le pouls de la terre paraît normal, son enregistrement s’écartant à peine de la ligne droite, tandis que les traits peints par les artistes sont ultradynamiques, manifestation d’une énergie rigoureusement contenue. C’est une affaire de sensation plus encore que d’inspiration. Dans cette façon de se mettre à l’écoute de la terre, entre sans doute une pointe d’humour ; la métaphore de l’artiste sismographe n’ayant pas encore cessé de servir. En filigrane, d’autres préoccupations apparaissent. Une simple recherche sur la signification des initiales désignant la zone géographique de chacun des relevés fait surgir des histoires de frontières, de colonisation, d’emprisonnement aussi. Citons, par exemple : Sakhaline, Kolyma, Guantanamo, Everglades.
C’est d’une autre sensibilité que témoignent les Lightbound. Inspirées par le développement de plantes tropicales, lancées à la poursuite du soleil, ce sont des lianes de verres suspendus au plafond. Elles ont été réalisées avec des maîtres verriers « dans une chorégraphie intime de chaleur, de pesanteur et de souffle ». Elles sont parcourues par des filaments de fibre optique connectés au réseau électrique. Par la lumière et par le geste, Allora & Calzadilla lient leur travail aux phénomènes naturels.
Du 29 novembre 2025 au 15 janvier 2026, Galerie Chantal Crousel, 10 rue Charlot, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Sean Scully : Blue » chez Thaddaeus Ropac, Paris. Courtesy de l’artiste et Thaddaeus Ropac. Photo Pierre Tanguy
Sean Scully : Blue
Sean Scully a toujours déclaré que l’abstraction était pour lui une réalité et que tous ses tableaux s’appuyaient sur la façon dont les gens assemblent les choses dans le monde. Les neuf tableaux qui forment l’exposition « Blue » sont tous du même format carré, peints sur cuivre, et regroupés par trois, sur trois des murs de la grande salle. Célébrer le bleu, c’est pour Scully évoquer le bleu dans sa vie ou tout ce que sa vie doit à cette couleur. Avant d’entrer dans la salle, on peut lire un texte de l’artiste dans lequel il évoque une mère qui se produisait parfois sur scène et dont l’un des succès était son interprétation de Unchained Melody, dans laquelle il n’est pas question de bleu mais de « fleuves qui s’écoulent vers la mer » ; et cela pour lui revient au même. Dans le livre qui accompagne l’exposition figure un poème de Kelly Grovier dans lequel est répété le vers suivant : « The Sky is empty but the stars bleed through – cerulean, cobalt, Prussian blue ». Ces bleus sont privilégiés dans les tableaux de la série, et à côté d’eux, viennent des carrés ou rectangles vert, prune, noir, la superposition de couleurs se laissant remarquer parfois. Soit qu’il se trouve aussi dans la composition des couleurs associées, soit que le noir en renforce l’éclat, le bleu est bien le sujet et la dominante.
Par le jeu d’agencements des carrés et des rectangles, les légères variations de leur nombre, la liberté et la diversité des sens du mouvement de la brosse, la luminosité aussi, la série se révèle puissamment musicale. C’est le peintre que nous connaissons mais qui s’adresse à nous sur un autre ton, dans un autre registre d’émotion.
Du 29 novembre 2025 au 17 janvier 2026, Thaddaeus Ropac, 7 rue Debelleyme, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Jérémie Danon : Il était une fois Enthéorie » à la Galerie Éric Mouchet. Courtesy de l’artiste et Galerie Éric Mouchet. Photo Hafid Lhachmi
Jérémie Danon : Il était une fois Enthéorie
Dans les films documentaires pour lequel il a été justement remarqué, Jérémie Danon a pu introduire des éléments fictionnels pour, par exemple, représenter les rêves des personnes qu’il filme. Avec Enthéorie, il se risque à la fiction intégrale en s’inspirant des contes et romans de chevalerie. Dans un environnement, un chevalier s’interroge sur le destin tracé pour lui qui l’oblige à partir en quête de la princesse. L’accompagne dans cette quête plus introspective que chevaleresque, un individu à tête de cheval, rencontré après avoir frappé à la porte d’une éolienne. Dans un château, une princesse, entourée de dames de compagnie, ne parvient pas à choisir un prince parmi ceux qui lui ont adressé son portrait. La fin de cette histoire, qu’on s’abstient de dévoiler, verra le désir l’emporter sur la morale écrite et les conventions du genre. Avant de réaliser Enthéorie, Jérémie Danon a produit une série de peintures, l’équivalent pour lui d’un storyboard, et qu’il expose avec certains des accessoires tels la cape du chevalier. Les tableaux du storyboard révèlent quelques-unes des références du cinéaste, et particulièrement le Peau d’Âne de Jacques Demy. Jérémie Danon a-t-il rêvé de faire voyager son chevalier en hélicoptère ? On veut croire que la modestie des moyens matériels convient mieux à ce questionnement identitaire.
Du 8 novembre 2025 au 10 janvier 2026, Galerie Éric Mouchet, 45 rue Jacob, 75006 Paris
