Françoise d’Eaubonne (1920-2005), résistante, cofondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF) et militante contre le colonialisme, la peine de mort et l’homophobie, est l’auteure d’une centaine d’ouvrages édités entre 1942 et 2003. Depuis quelques années, son œuvre foisonnante de romancière, d’essayiste, de poète ou encore de biographe fait l’objet d’une redécouverte, notamment autour de l’histoire de l’écoféminisme, terme qu’elle a façonné. C’est dans ce cadre que l’historienne d’art Fabienne Dumont, à la demande du petit comité qui veille sur l’œuvre de Françoise d’Eaubonne, propose une édition revue et augmentée de son livre Histoire de l’art et lutte des sexes paru en 1978.
UNE APPROCHE SOCIALE ET PLURIDISCIPLINAIRE
Comment est né cet essai ? Si Françoise d’Eaubonne n’est pas historienne d’art, au sens universitaire et étroit du mot, elle s’est toujours intéressée à la peinture et au dessin. Avant-guerre, elle a en outre passé quelques mois sur les bancs de l’École des beaux-arts de Toulouse avant de choisir la voie de l’écriture en publiant un premier roman sur la figure d’Antoine Watteau (Le Cœur de Watteau, 1944). En 1973, à l’heure où la fabrique de l’histoire de l’art et celle de son canon commencent à être discutées, la lecture d’Histoire de l’art et lutte des classes de Nicos Hadjinicolaou lui inspire une réponse féministe dans « Conclusions » (page 258) : « Nous nous sommes proposé, à partir d’une méthode parfaitement fondée, celle de l’école […] de [Nicos] Hadjinicolaou, qui interprète l’histoire de l’art à la lumière de celle de la lutte de classes, de décoder à travers l’examen d’une production d’images historiques, […] en relation éventuelle avec les textes de l’époque (littérature) ou les commentaires de la nôtre (critique d’art), une signification plus profonde et plus ancienne que celle de la lutte des classes : la lutte des sexes. »
Après une première partie théorique dans laquelle Françoise d’Eaubonne expose son sujet à l’aune des concepts marxistes alors en vogue, elle examine ensuite un ensemble d’œuvres d’art ancien et moderne, de Pierre-Paul Rubens à René Magritte en passant par l’enlumineuse du XVe siècle Anastaise, qu’elle analyse d’ « un ton insolent, dynamique, militant », selon les termes de Fabienne Dumont dans sa préface érudite (page 30). Par son travail d’édition, celle-ci éclaire la place de ce « livre pionnier », unique dans l’histoire de l’art féministe des années 1970.
Par son approche sociale et critique nourrie de sources pluridisciplinaires (sociologie, ethnologie, histoire, littérature, etc.), Françoise d’Eaubonne s’inscrit dans la même perspective que ses contemporaines plus célèbres – Linda Nochlin, Griselda Pollock, Lucy Lippard – dont les travaux nourrissent fructueusement les études actuelles.
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Françoise d’Eaubonne, Histoire de l’art et luttes des sexes, éditée et présentée par Fabienne Dumont, Dijon, Les presses du réel, 2025, 304 pages, 24 euros.
