Mission accomplie pour Jaime A. Martinez, le nouveau directeur d’ARTBO. Réunissant 46 exposants, la foire fondée en 2004 (et soutenue) par la Chambre de commerce de Bogotá a fermé ses portes dimanche 28 septembre 2025 à l’Agora, le récent Centre de conventions avec vue imprenable sur l’immense capitale de la Colombie, grande comme 17 fois Paris et forte de 8 millions d’habitants. Dans un contexte de relance – avant la pandémie, l’événement accueillait bien plus de galeries et davantage d’enseignes internationales –, ARTBO s’est conclue sur de nombreuses ventes. « Ce qui définit sans doute la foire, c’est la fraîcheur de ses propositions, son avant-gardisme. Nous avons ici une vraie base de collectionneurs, certes pas aussi importante qu’au Brésil ou à Mexico, mais qui sont prêts à prendre des risques. Ce qui incite les galeries à montrer des choses non traditionnelles », confie le jeune directeur, ex-galeriste qui a travaillé à Berlin. Et de poursuivre : « Les Colombiens sont des gens de nature optimiste ; il en est de même pour l’art. En ce moment, ce n’est facile nulle part dans le monde pour le marché. Mais ici, nous pouvons compter sur le soutien local, quelle que soit la situation politique », d’ailleurs souvent compliquée en Colombie. Pour élargir le public, et rendre l’accès à l’art contemporain plus facile, « nous avons choisi de diviser par deux le prix de l’entrée à 6 dollars [5,10 euros] », explique Ovidio Claros Polanco, le président de la Chambre de commerce, qui organise aussi les « ARTBO Salas », expositions qui ont lieu toute l’année dans la ville. L’organisme a aussi lancé un week-end d’ouverture des galeries et des musées en avril, très suivi, avec la participation d’une trentaine d’enseignes sur un total de quelque 45 basées à Bogotá.

ARTBO 2025, à l'Arena de Bogotá. Photo A.C.
ARTBO « est une foire certes locale, mais importante en termes de contenu, de qualité, bien curatée et synonyme de fraîcheur pour les visiteurs, car beaucoup de galeries ne sont pas encore dans le circuit international. C’est une foire de découvertes ! », abonde Alex Mor, codirecteur de la galerie parisienne mor charpentier. Dans ce registre « frais », il faut mentionner le secteur Proyectos, curaté par Carla Acevedo-Yates, l’une des membres de l’équipe exclusivement féminine de la prochaine Documenta 16 de Cassel. Il mettait l’accent sur la très vivante tradition du textile en Amérique latine. Soit dix artistes « associant cette tradition avec d’autres médiums, dont la vidéo », résume la commissaire. Parmi ces artistes figurait Maria Sosa, qui va représenter le Mexique à la prochaine Biennale de Venise en 2026 (Galería Extra, Guatemala) et s’intéresse au corps féminin associé aux références botaniques et aux peuples autochtones, sur fond de colonisation… Autre coup de cœur, cette fois à l’étage du dessous, au sein du secteur dévolu aux jeunes enseignes : l’installation de Charlie Mai montrée par la galerie Plural Nodo Cultural (Bogotá). Sur un grand store apparaît un paysage traditionnel chinois de montagnes et d’eau ; mais en tournant le store, le chantier du métro aérien de Bogotá apparaît. Une construction financée à 70 % par les Chinois… et réalisée par leurs compatriotes, discrète communauté venue s’installer dans la capitale. « J’ai voulu illustrer la tension actuelle en Colombie entre l’influence des États-Unis et maintenant celle de la Chine pour devenir le partenaire principal, confie l’artiste américano-chinois basé à Bogotá. La Colombie est à un tournant ! J’ai voulu rappeler l’ironie de l’histoire : les Américains avaient recruté des Chinois pour bâtir le métro de Los Angeles car ils avaient besoin de cette main-d’œuvre bon marché. Aujourd’hui, les Chinois possèdent les savoir-faire, ce sont aussi des ingénieurs chinois qui viennent à Bogotá ».

Œuvres de Julieth Morales, espacio El Dorado, Bogotá, sur le secteur Proyectos d'ARTBO. Photo : A.C.
De son côté, la galerie La Cometa, qui dispose aussi d’espaces à Medellín, Madrid et Miami, montrait des œuvres d’Ana Gonzáles, coreprésentée par la galerie Sean Kelly à New York ; l’estate de Juan Cardenas, qui vient de disparaître ; avec une peinture affichée à 60 000 dollars ; ou le travail de Miguel Angel Rojas, qui a participé à la dernière Biennale de Venise et bénéficiera d’une exposition au Reina Sofia à Madrid en novembre 2026.

Stand de la galerie mor charpentier sur ARTBO 2025. Photo: A.C.
Après un vernissage très fréquenté sans être bondé, ce qui favorise les échanges entre les galeries, les artistes et les visiteurs, le week-end s’est révélé nourri, à ARTBO comme en ville sur le parcours VIP. « À la différence d’autres foires dans le monde, le week-end est assez important et, le dimanche, il est possible de boucler pas mal de ventes. Nous sommes globalement très satisfaits de cette édition. Nous avons vendu surtout à des Colombiens, ce qui est le signe d’un marché local actif », précise Alex Mor, dont la galerie a cédé des œuvres de Liliana Porter, Mateo López et Guadalupe Maravilla entre 15 000 et 60 000 dollars. Et de souligner « le nombre impressionnant d’explorateurs internationaux de tout premier niveau ». La galerie bénéficiait d’un coup de projecteur supplémentaire avec l’exposition consacrée par le Mambo (Museo de Arte Moderno) de Bogotá à l’artiste conceptuel Oscar Muñoz, qu’elle défend. L’enseigne jouait aussi à domicile grâce à son bel espace ouvert en 2021, où elle présente jusqu’au 29 novembre le travail de Guadalupe Maravilla.
« Qu’est-ce qui fait le caractère international d’une foire ? Avoir des exposants étrangers, ou attirer des visiteurs internationaux, curateurs ou collectionneurs ? », s’interroge le directeur de la foire, Jaime A. Martinez. De fait, certains visiteurs sont venus de Russie, de Chine, des États-Unis, d’Espagne, d’Argentine, du Chili… Parmi les visiteurs insignes figuraient des curateurs et autres représentants du MoMA PS1 de New York, du Reina Sofia de Madrid, du Macba de Barcelone, du Pérez Art Museum Miami, du Malba (le musée d’art latino-américain de Buenos Aires), ou encore de musées de Chicago ou de Saint-Louis (Missouri)… Nous avons aussi constaté, en ville et à la foire, la venue d’un petit contingent d’Américains, y compris d’advisors new-yorkais intéressés par la scène latino-américaine. Le lancement – concomitant d’ARTBO – de BOG25, une nouvelle biennale d’art contemporain, constitue assurément une carte supplémentaire pour renforcer l’attractivité de la foire mais aussi de la capitale. Les visiteurs ont aussi eu la possibilité d’enchaîner avec une autre biennale ouvrant cette semaine, celle de Medellín. Parmi les bémols, la foire gagnerait toutefois à proposer davantage de cartels et de textes en anglais pour les visiteurs non hispanophones…

Stand de la 193 Gallery sur ARTBO 2025. Photo A.C.
Pour beaucoup d’exposants, le bilan de cette édition est positif et rassurant, dans un contexte marqué par l’inflation et la dévaluation récente du peso colombien. « Nous avions envisagé de participer à SP Arte [à São Paulo] au Brésil, mais ici, tout ce qui concerne les douanes et les taxes est plus facile », explique le parisien César Levy, directeur de la 193 Gallery, seul exposant 100 % européen. Pour sa 2e participation, le Français a cédé des œuvres de l’Ivoirienne Joana Choumali à 16 500 dollars, une du Cubain Rafael Domenech (artiste présent dans les collections du Pérez Art Museum Miami ou du Metropolitan Museum of Art à New York) à 5 500 dollars ou encore une autre de la Kényane Thandiwe Muriu à 8 500 dollars. Il ne s’agit donc pas seulement d’artistes latinos, qui sont par ailleurs majoritaires à ARTBO ! « Nos acheteurs étaient principalement locaux, colombiens, contrairement à ce qui s’est passé pour nous à la foire ZonaMaco à Mexico », se réjouit César Levy.

Stand de la galerie Sketch de Bogotá sur ARTBO 2025. Photo: A.C.
ARTBO consolide donc sa place dans le paysage des foires latinos, aux côtés de ZonaMaco ou de SP Arte, comme un acteur majeur de la région… « En Colombie, on s’est toujours battu pour résister, il y a beaucoup de résilience », souligne la directrice et fondatrice de Sketch, Liz Caballero. Cette pionnière du quartier de galeries de San Felipe célèbre ses 12 ans avec une exposition de groupe à l’accrochage original. Et de pointer les spécificités locales. Avec le recul de la violence, « beaucoup d’artistes, de créateurs de modes et de chefs sont revenus vivre à Bogotá après un long séjour à l’étranger », contribuant à dynamiser l’écosystème, souligne Liz Caballero. Et de poursuivre : « l’économie, bien sûr, n’est pas aussi stable qu’en Europe, mais il faut avancer pas à pas. ARTBO est là depuis une vingtaine d’années, et beaucoup de foires ont souffert après la pandémie. De plus en plus de gens s’intéressent à l’art ici, mais ce développement se fait à un rythme naturel. Nous aurions besoin de musées plus importants, de davantage de collectionneurs, de philanthropie, d’achats de la part des institutions, et de budgets gouvernementaux plus importants, alors qu’à Mexico par exemple, les musées soutiennent davantage les artistes par des acquisitions ». En attendant, à son rythme et à 2 600 mètres d’altitude, ARTBO reprend de la hauteur…
BOG25, Bienal Internacional de Arte y Ciudad de Bogotá (2025), jusqu'au 9 novembre 2025, divers lieux, Bogotá
