Une semaine après que la Maison-Blanche a annoncé le lancement d’un examen officiel des programmes de la Smithsonian Institution, le président américain Donald Trump a accusé l’organisation, sur les réseaux sociaux, de présenter l’histoire des États-Unis sous un angle trop négatif.
Dans un message publié sur Truth Social, sa propre plateforme, Trump écrit : « Le Smithsonian est hors de contrôle : tout ce qui y est abordé, c’est à quel point notre pays est horrible, à quel point l’esclavage a été terrible et combien les déshérités ont réalisé peu de choses – rien sur les réussites, rien sur la lumière, rien sur l’avenir. »
Il est exact que certains établissements du réseau Smithsonian, comme le National Museum of African American History and Culture (NMAAHC), présentent des expositions consacrées à la traite transatlantique et à l’histoire de l’esclavage aux États-Unis. Mais les musées du Smithsonian mettent également en valeur les innovations et réussites américaines : le NMAAHC, par exemple, consacre un étage entier aux réalisations artistiques, scientifiques, sportives et entrepreneuriales des Afro-Américains.
Dans le même message, faisant probablement référence aux récents gels de financements qui ont touché plusieurs universités, Donald Trump ajoute : « … J’ai demandé à mes avocats d’examiner les musées et d’engager exactement le même processus que celui appliqué aux universités, où des progrès considérables ont été réalisés. » Le message se conclut par : « Nous avons le pays le plus HOT au monde, et nous voulons que les gens en parlent, y compris dans nos musées. »
La déclaration du président intervient alors que la Maison-Blanche a lancé un examen de quatre mois portant sur les expositions, les programmes et les processus internes de 8 des 21 musées du Smithsonian : le National Museum of American History, le National Museum of Natural History, le National Museum of African American History and Culture (NMAAHC), le National Museum of the American Indian, le National Air and Space Museum, le Smithsonian American Art Museum, la National Portrait Gallery (NPG) et le Hirshhorn Museum and Sculpture Garden.
Selon une lettre adressée le 12 août 2025 au secrétaire du Smithsonian, Lonnie G. Bunch, à l’issue de ce processus, les musées devront « corriger leurs contenus lorsque cela sera nécessaire, en remplaçant les formulations jugées clivantes ou idéologiquement orientées par des descriptions unifiantes, historiquement exactes et constructives ».
Le Smithsonian est le plus vaste complexe muséal, éducatif et de recherche au monde, mais il n’appartient pas à l’administration fédérale. Environ 53 % de son budget global – qui s’élevait à 1,09 milliard de dollars pour l’exercice 2024 – provient de dotations votées par le Congrès américain. L’institution est dirigée par un conseil d’administration qui réunit notamment le président de la Cour suprême John Roberts, le vice-président J.D. Vance, un groupe bipartite de parlementaires, ainsi que des personnalités issues des milieux économique et culturel.
Les tentatives de la Maison-Blanche d’encadrer le contenu des expositions du Smithsonian ont suscité de vives réactions dans le monde des musées comme parmi les organisations de défense de la liberté d’expression. Dans un communiqué, l’Association of Art Museum Directors (AAMD) affirme que le Smithsonian « excelle lorsque ses scientifiques, historiens et conservateurs peuvent déterminer librement l’orientation de leurs recherches et de leurs expositions – c’est l’une de ses grandes forces. Nous réaffirmons notre soutien indéfectible à cette institution, à sa mission et à nos collègues qui y travaillent ».
Plus mesurée, l’American Alliance of Museums (AAM), réagissant aux « menaces croissantes de censure visant les musées américains », met néanmoins en garde : « Lorsqu’une directive dicte ce qui peut ou ne peut pas être montré, on risque de réduire la vision offerte au public sur les faits, les idées et la diversité des points de vue. » Le communiqué ajoute : « Il ne s’agit pas seulement d’une inquiétude pour quelques institutions. De telles pressions risquent de créer un climat de censure dans l’ensemble du secteur muséal. »
En réaction à l’audit lancé par la Maison-Blanche, l’American Historical Association (AHA) a publié sa propre déclaration : « Les historiens exercent leur métier avec intégrité. L’ingérence politique dans les pratiques curatoriales, ainsi que dans le contenu des musées et de l’enseignement, menace l’intégrité et la justesse de l’interprétation historique et risque d’éroder la confiance du public dans nos institutions communes. »
De son côté, Hadar Harris, directrice du bureau de Pen America à Washington, replace les tentatives de la Maison-Blanche d’influer sur les programmes du Smithsonian dans le cadre plus large des efforts de l’administration Trump pour « réécrire l’histoire ». « Les efforts de l’administration pour réécrire l’histoire constituent une trahison de nos traditions démocratiques et une tentative extrêmement préoccupante de soustraire la vérité aux institutions qui racontent notre histoire nationale, du Smithsonian à nos parcs nationaux, poursuit Hadar Harris. Les idées et la manière de présenter l’histoire ne peuvent pas être soumises aux caprices d’un seul dirigeant ou d’une seule administration. » Elle poursuit : « Véritable joyau des musées nationaux américains, le Smithsonian fait appel à des experts reconnus pour garantir l’exactitude et l’intégrité de ses expositions. Celles-ci ont évolué au fil du temps pour refléter davantage de nuance et de complexité. Les conservateurs et les historiens doivent pouvoir travailler librement, sans ingérence politique. »
Dans le même esprit, Julie Trébault, directrice exécutive de l’Artists at Risk Connection, estime que les initiatives de la Maison-Blanche menacent à la fois l’indépendance curatoriale, la liberté artistique et des principes démocratiques essentiels. « L’administration actuelle cherche à imposer une version amnésique et aseptisée de l’histoire américaine, qui occulte les vérités les plus douloureuses et efface les contributions artistiques et culturelles majeures des communautés marginalisées », déclare Julie Trébault dans un communiqué. Elle poursuit : « Une telle censure n’est pas seulement une attaque contre le Smithsonian : c’est une remise en cause des principes mêmes de la liberté intellectuelle, de l’intégrité artistique et du dialogue démocratique. Elle menace d’édulcorer notre paysage culturel national et de priver les générations futures de la capacité à affronter honnêtement notre histoire. »
L’examen des politiques et programmes du Smithsonian engagé par la Maison-Blanche, ainsi que les récents commentaires du président sur les réseaux sociaux, font suite à un décret présidentiel signé en mars. Celui-ci charge le vice-président J.D. Vance de supprimer du Smithsonian toute « idéologie clivante centrée sur la question raciale » et de refuser tout financement aux expositions ou œuvres considérées comme « dégradant les valeurs américaines communes ».
En réaction à ce décret, le secrétaire du Smithsonian, Lonnie G. Bunch, a adressé une note interne à l’ensemble des équipes, précisant : « Comme toujours, notre travail sera guidé par les meilleures recherches académiques, débarrassées de tout esprit partisan, afin d’aider le public américain à mieux comprendre l’histoire, les défis et les réussites de notre nation. »
En mai, Donald Trump a directement pris pour cible la National Portrait Gallery (NPG), tentant de révoquer sa directrice Kim Sajet – qui a finalement démissionné deux semaines plus tard. Peu après, l’artiste Amy Sherald a annulé l’étape prévue à la NPG de son exposition itinérante, affirmant que le musée avait cherché à retirer son tableau Trans Forming Liberty (2024) – un portrait d’une personne transgenre non binaire incarnant la statue de la Liberté – afin d’éviter un éventuel bras de fer avec l’administration Trump.
Le président s’en est également pris à d’autres canaux de financement fédéral de la culture : il a tenté de supprimer l’Institute of Museum and Library Services, a poussé la présidente du National Endowment for the Humanities, Shelly C. Lowe, à démissionner, et a cherché à détourner les budgets des agences culturelles fédérales vers ses propres priorités – qu’il s’agisse de célébrer le 250ᵉ anniversaire de la Déclaration d’indépendance, prévu en 2026, ou de financer la construction du projet baptisé « National Garden of American Heroes ».
