Né en 1982 à Maceió, Jonathas de Andrade est un enfant du Nord-Est. Berceau de la société brésilienne, cette région, marquée par une grande pauvreté, est aussi le théâtre d’injustices structurelles issues du colonialisme. Mais dans le sang de son peuple coule un farouche esprit de communauté et de résistance, à l’origine de luttes populaires historiques. Le travail de Jonathas de Andrade s’inscrit dans cet héritage. Depuis deux décennies, il s’attache à mettre en lumière les inégalités sociales et raciales qui sclérosent le Brésil. Son œuvre, entre image et texte, déconstruit des archétypes visuels liés à l’exotisme, au corps masculin ou au mythe du modernisme tropical. Installée dans l’antenne tourangelle du Jeu de Paume, l’exposition « Gueule de bois tropicale et autres histoires » réunit une dizaine de ses créations.
UNE DÉMARCHE MILITANTE
La question de la voracité est au cœur des préoccupations de l’artiste*1. Elle cristallise l’ambiguïté du rapport de pouvoir qui régit notre humanité. Le film O Peixe (Le Poisson, 2016) montre un homme étreignant avec tendresse un poisson qu’il vient de pêcher.
à l’exotisme, au corps masculin ou au mythe du modernisme tropical.
L’atmosphère sensuelle, exacerbée par une végétation luxuriante et la douceur des gestes du pêcheur, renforce le sentiment de malaise face à la réalité de cette scène : la mise à mort d’un animal. Centré ici sur la nature, ce film, à l’instar de l’approche globale de Jonathas de Andrade, pointe l’hypocrisie des systèmes de domination structurant nos sociétés.
Si nombre de ses projets révèlent la vie réelle des minorités sociales, l’artiste ne cède jamais au misérabilisme, cherchant plutôt à remodeler l’image qui leur est associée. Cela passe par un travail de collaboration par lequel les communautés reprennent le contrôle de leur existence, qu’il s’agisse d’un groupe de sourds-muets dans Jogos Dirigidos (Jeux dirigés, 2019) ou des femmes kayapó d’Amazonie, dont la tradition du dessin corporel est mise en regard avec des cartes officielles de leur territoire, qu’elles ont peintes sur invitation de l’artiste (Fome de Resistência [Faim pour la résistance], 2020). La représentation du corps masculin et l’homosexualité sont un autre fil rouge de sa pratique, dont il se plaît à déconstruire les stéréotypes avec humour, à travers un manuel de bricolage (Manuel para 2 em 1, 2015) ou des sculptures habillées d’un slip de bain oubliés dans une piscine municipale (Achados e perdidos [Perdus et trouvés], 2020).
Travaillant à partir d’objets trouvés, d’images et de documents – d’archives ou vernaculaires –, Jonathas de Andrade a développé un langage visuel nourri par son intérêt pour les sciences sociales, l’anthropologie, la pédagogie, le théâtre et la sémantique. Au commissariat de cette exposition, Marta Ponsa décrit le « trouble sémantique » dont use l’artiste, à l’instar de Ressaca Tropical (Gueule de bois tropicale, 2009), qui tisse la métaphore de la veisalgie au sens propre comme au sens socio-politique. Elle évoque aussi la notion de « sourire militant », formule qui pourrait résumer toute la démarche de Jonathas de Andrade, dont les œuvres profondément engagées sont empreintes d’une énergie singulière, une empathie et une forme de lumière, découlant de ce désir d’aller vers l’autre qui sous-tend l’ensemble de sa production.
*1 Cette thématique est à l’honneur dans une autre exposition consacrée à l’artiste : « Jonathas de Andrade. L’art de ne pas être vorace », 1er avril-2 novembre 2025, Commanderie de Peyrassol, Flassans-sur-Issole.
-
« Jonathas de Andrade. Gueule de bois tropicale et autres histoires », 20 juin-9 novembre 2025, Jeu de Paume – Tours, château de Tours, 25, avenue André-Malraux, 37000 Tours.
