Directrice artistique de la 24e édition de Nuit Blanche, Valérie Donzelli s’est tournée naturellement vers un univers qu’elle connaît bien : le 7e art. Le 7 juin 2025, l’actrice et réalisatrice de La Guerre est déclarée transforme Paris en ville cinéma : projection de films de cinéastes femmes sur les murs de la capitale (d’Alice Guy à Agnès Varda), présentation sur le parvis de la gare Montparnasse d’un court métrage d’animation original signé de Michel Gondry, diffusion de vidéos d’artistes contemporains dans un célèbre cinéma indépendant... « J’ai pensé cette Nuit Blanche, comme mes films, à la portée de tous, souligne la programmatrice d’une nuit. J’ai toujours voulu faire un métier lié à l’art, de façon manuelle ou artisanale. J’aurais aimé faire l’École Boulle ou une école d’arts appliqués, mais mon dossier scolaire n’était pas assez bon. »
Une génération d'artistes
Très peu le savent, mais Valérie Donzelli appartient à une famille d’artistes : « J’ai appris le dessin et la sculpture avec mon grand-père, Dante Donzelli, qui a restauré avec son père, Duilio, plus de 150 églises dans l’est de la France. » Le département de la Meuse a récemment ouvert un « Itinéraire Donzelli » pour découvrir l’œuvre du sculpteur et peintre italien Duilio Donzelli, notamment les peintures murales qu’il a réalisées au lendemain de la Première Guerre mondiale dans de nombreuses églises endommagées pendant le conflit. Le circuit en vingt-six étapes épouse en majeure partie la ligne de front. L’artiste œuvrait à la demande des communes, mais aussi des prêtres du diocèse avec lesquels il avait noué des liens privilégiés. Pourtant, Duilio Donzelli n’était pas croyant. « Mon arrière-grand-père était un communiste italien, raconte sa descendante. Socialiste révolutionnaire, il a dû fuir son pays en 1912 pour s’installer d’abord au Luxembourg, puis en France. Il a trouvé du travail comme tailleur de pierre et s’est spécialisé dans la restauration de l’art religieux. » Dante Donzelli prendra la suite de son père. En 1964, animé par l’envie de partager son savoir, le fils ouvre une école d’art à Saint Mihiel, en Lorraine. « Les gens donnaient ce qu’ils pouvaient, précise sa petite-fille. Avec cet argent, mon grand-père achetait du matériel, de la terre, du bois, de la pierre. Il a toujours vécu de son art, mais dans une extrême pauvreté. Il habitait dans une toute petite maison. Nous avions peur qu’elle s’écroule ! » Chaque été, Valérie Donzelli passe ses vacances là-bas en famille. À son arrivée, le patriarche distribue blocs de papier et crayons. « Je devais dessiner ce que je voyais à la télévision, les présentateurs, les speakerines... Il fallait être rapide, car leurs visages ne restaient pas longtemps à l’écran. J’ai appris comme ça. Mon grand-père répétait : “Tu regardes, tu reproduis.” Il rappelait l’importance d’observer et de mémoriser pour pouvoir retranscrire. Il avait un rapport très classique à l’art. Son maître, c’était [Auguste] Renoir, [ses influences,] les impressionnistes, la Renaissance, la peinture italienne. Il n’aimait pas trop Pablo Picasso et ni la peinture moderne. » La fillette adore particulièrement la sculpture et travailler la terre glaise.
Chez les Donzelli, la passion pour l’art a sauté une génération. « Mon père a beaucoup souffert de la précarité de son enfance. Il dessinait pourtant avec beaucoup de talent, notamment dans une veine humoristique. Il aurait fait un fantastique dessinateur de presse. Mais il a choisi une autre voie, le droit. Pour lui, la vie d’artiste était synonyme de pauvreté. » Relancée par une amie, Valérie Donzelli envisage de reprendre des cours de dessin sur modèle vivant. « J’adore dessiner, mais je n’ai pas de talent pour représenter la réalité. À la différence de mon cousin, l’illustrateur Stéphane Manel. J’ai l’impression qu’il est né avec un crayon à la main. Il dessinait tout le temps ».
Avant de choisir le cinéma, Valérie Donzelli a d’abord suivi des études d’architecture à UP4, à Charenton le Pont (Val-de-Marne). « C’était une annexe des Beaux-Arts. J’adorais les ateliers de dessin et de sculpture. Je taillais des blocs de béton cellulaire. En revanche, le profil d’ingénieur, les mathématiques, c’était l’enfer pour moi ! J’ai abandonné très vite. L’architecture m’a donné envie de construire mes propres projets, de mener à terme une idée et de lier l’art à la technique, d’une certaine façon. L’architecture, comme le cinéma, est politique. Il s’agit de présenter sa conception du monde, de raconter sa vision des choses. » Elle s’inspirera du parcours de sa meilleure amie, architecte, pour écrire le personnage de Maud Crayon, l’héroïne de son récent film Notre Dame.

Michel Gondry, affiche de la Nuit Blanche 2025. © Michel Gondry
L’art dans tous ses états
Pour bâtir le contenu de la Nuit Blanche, la programmatrice a contacté en premier Michel Gondry, le cinéaste qui se rapproche le plus d’un plasticien. Ensemble, ils ont écrit le scénario d’un court métrage que le réalisateur a façonné avec des papiers découpés. Proposer un art accessible, « sans se prendre au sérieux », sans doute est-ce la leçon que Valérie a apprise auprès de Dante Donzelli. « En cinéma, comme en art, il y a un point d’équilibre économique à trouver pour disposer d’une liberté de création qui nous satisfait tout en gagnant sa vie. J’ai des amis peintres que j’ai vu démarrer à partir de rien et qui sont aujourd’hui représentés par d’énormes galeries. Il faut arriver à monter ses films ou à vendre ses tableaux, sans pour autant se retrouver piégé et devoir reproduire uniquement ce qui marche. »
Dans son panthéon figurent Pina Bausch, Jean-Sébastien Bach, Glenn Gould, Vincent van Gogh, Henri Matisse. « Ce qui me touche dans leurs créations n’est pas facile à expliquer. C’est un peu comme tomber amoureux. On ne sait pas toujours pourquoi. Devant les tableaux de Vincent van Gogh, on comprend presque l’état dans lequel il était lorsqu’il les a peints. C’est bouleversant. Un film, une musique, une peinture trahissent quelque chose de son auteur, une part d’intimité. »
Entre la programmation de la Nuit Blanche et la réalisation de son prochain film (l’adaptation du roman À pied d’œuvre de Franck Courtès actuellement en montage), Valérie Donzelli ne trouve plus le temps de visiter les musées. « Pourtant, j’en ai besoin pour me nourrir. J’adore aller au musée du Louvre, dans les salles où il n’y a personne, le parcourir à toute vitesse, comme dans le film Bande à part de Jean-Luc Godard. J’aime aussi le Centre Pompidou, les musées de la Chasse et de la Nature – un lieu magnifique –, d’Orsay, Picasso [Paris]. Je regrette de ne pas aller plus souvent au musée du quai Branly. À Paris, nous avons quand même beaucoup de chance. »
Valérie Donzelli n’a pas toujours dit cela. Elle se souvient avec émotion de son premier choc esthétique : « Dans les années 1980, mon père nous a emmenés, mes deux grandes sœurs, mon petit frère et moi, au Grand Palais visiter une exposition sur les impressionnistes. La file d’attente était interminable. Je n’en pouvais plus. Je disais : “Mais papa, pourquoi on fait la queue ? On en a marre, on n’en peut plus !” Il m’avait répondu : “Vous verrez.” Malgré son rejet de la condition d’artiste, il avait cet amour pour la peinture. Et il avait raison. Quand j’ai vu les tableaux, j’ai ressenti un choc qui méritait bien ces heures d’attente. Les couleurs étaient folles. Je me souviens des nymphéas de [Claude] Monet et de la joie qui jaillissait des tableaux [d’Auguste] Renoir. »
Comme une façon de transmettre le virus artistique à ses enfants, elle a offert à chacun une œuvre qui leur correspond : « Pour mon fils aîné, c’est une création d’Adrien Lamm, un artiste présent à la Nuit Blanche, une petite veste qui s’envole. Pour ma fille, un portrait de Françoise Dorléac découvert à la Galerie Cinéma. Enfin, pour mon dernier garçon, une pièce d’une artiste haïtienne. »
Valérie Donzelli ne se sent pas l’âme d’une collectionneuse. « Je ne suis pas du tout une femme d’argent. Mais, sur un coup de cœur, je peux acheter un tableau. À la maison, j’ai accroché des toiles de mon grand-père. J’en acquiers de temps en temps quand j’en vois à vendre. On peut en trouver sur Le Boncoin à 500 euros. » Avis aux amateurs.
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24e Nuit Blanche, 7 juin 2025, divers lieux, 75000 Paris, paris.fr/nuit-blanche-2025