L’arrivée de Sophie Parker, qui a pris la tête de la Foire Photo London créée par Michael Benson et Fariba Farshad en 2015, se traduit cette année par une édition tournée vers les femmes qui maîtrisent leur destin. Exit les sempiternelles photos lascives de top models… Le coup de balai commence par un rééquilibrage genré, sur les murs autant qu’au niveau des participants. « Cette année, 62 % des galeries présentes sont dirigées ou possédées par des femmes, et 22 exposants sur 131 galeries montrent uniquement des artistes femmes », explique la directrice. Le regard est ainsi déplacé, Dora Maar passant par exemple de muse passive de Picasso à auteure du photogramme Compositions abstraites (Vierge et Crucifix), vers 1980, vendu par Amar Gallery (Londres) pour 10 000 dollars. « Dans le contexte commercial d’une foire, les mesures prises ont un impact direct sur le choix que font les institutions venues acquérir des œuvres pour leurs collections. C’est à nous de compenser une histoire traditionnellement faite par et pour les hommes », abonde Charlotte Jensen, la commissaire de la section Discovery. Toujours à la Amar Gallery, dans l’aile ouest du secteur principal, une autre Compositions abstraites a été vendue au Nasher Museum of Art à Durham (Caroline du Nord), une œuvre que le musée américain montrera dès cet été. Cet achat vient démontrer de manière directe l’impact de la nouvelle stratégie de la foire.
Sur le stand de House of Bandits by Sarabande, dans la section Discovery, les travaux introspectifs liés aux communautés LGBTQIA + sont à l’honneur. Kasia Wozniak revient pour sa part sur le médium photographique comme processus créatif complexe et laborieux, avec les œuvres Cosmic Egg (à 1 176 livres sterling) et Cygnus (4 560 livres sterling), produites à partir de plaques au collodion humide. Nous sommes ici loin des prophéties alarmistes qui prédisent l’invasion d’images fades générées par de l’IA…
Dans un contexte difficile économiquement, qui force parfois les galeries à présenter les invendus d’une foire sur l’autre, Photo London défend un ancrage géographique, notamment pour se démarquer de ses concurrents, et rappeler la place qui a été celle de la capitale anglaise dans la reconnaissance de la photographie en tant que médium artistique à part entière. La section London Lives, dont le commissariat a été confié au critique Francis Hodgson, ouvre sur un cliché d’Idris Khan du célèbre Tower Bridge, au style évoquant le cubisme analytique. Loin des stéréotypes figés, l’œuvre rappelle que l’expérience d’un lieu n’est qu’une somme de points de vue malléables et subjectifs. D’autres artistes comme Nick Turpin, Tom Lovelace ou Karen Knorr explorent un quotidien à multiples facettes qui ne craint pas de regarder ses tragédies en face, comme le suggèrent les clichés de Simon Roberts pris dans le quartier de la Grenfell Tower après le terrible incendie de 2017.

Kasia Wozniak, Cygnus, 2025. Courtesy de l'artiste et galerie House of Bandits by Sarabande
Étonnamment apaisante, la section principale, déployée dans la cour de Somerset House, propose une alternative subtile à la saturation anxiogène des fils d’actualité. Le diptyque parsemé d’éclaboussures de peinture colorée, photographié par Nanna Hänninen dans le désert de cactus de Tucson (Arizona) et vendu 4 800 euros chez Persons Projects (Berlin), révèle ainsi des paysages envoûtants au futur incertain. À l’instigation de la directrice de la foire, les galeristes ont troqué les accrochages traditionnels saturés contre des mini-expositions muséales et des installations monographiques audacieuses. La Lee Miller Archive met en avant le travail de l’artiste éponyme, rare femme correspondante de guerre pour l’armée américaine lors de la Seconde Guerre mondiale. Son image Women with fire-masks, Downshire Hill, London, England, datant de 1941, est disponible pour 4 595 livres sterling. Le stand est un avant-goût de l’exposition qui se tiendra à la Tate Britain à l’automne prochain. Plus loin dans les allées, la Galerie Bacqueville (Lille) dédie son stand à David De Beyter et ses paysages insulaires marqués par des légendes extraterrestres, tandis que la Grob Gallery (Genève) consacre la moitié de son immense stand aux fragments de corps capturés par Bill Brandt. Dès le deuxième jour, sept œuvres de l’artiste anglais étaient vendues entre 10 000 à 15 000 livres sterling pièce.
Par ailleurs, fidèle à sa mission de soutien à la jeune création, Nikon parraine le Prix Photo London x Nikon Emerging Photographer of the Year et distingue cette année le projet collaboratif de Silvana Trevale et Gabriel Pinto, né de la rencontre entre leurs galeries respectives, BETA Contemporary et Sorondo Projects (Barcelone). « Plutôt que de présenter de simples travaux à vendre, nous avons voulu concevoir le stand comme une extension de notre programmation artistique », explique Juliana Sorondo, fondatrice de Sorondo Projects. Une approche holistique du marché, en phase avec la nouvelle orientation de Photo London, qui semble déjà porter ses fruits.
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Photo London, jusqu’au 18 mai, Somerset House, Londres, https://photolondon.org/