En cas de problème avec l’acheteur, que se passe-t-il si celui-ci est basé en Europe, au Royaume-Uni et en Suisse ?
Aujourd’hui, l’Union européenne [UE] porte un gage de sérénité lors des achats et ventes d’œuvres d’art. C’est un marché commun. Les règlements européens font que les décisions d’un juge français sont reconnues et exécutées dans n’importe quel autre État membre. Il est par ailleurs facile de faire saisir des comptes en Espagne ou ailleurs. Pour le marché, l’UE représente donc une vraie force. Avec tous ces avantages, il serait dommage de se priver d’agir en cas de problème ! Pour le Royaume-Uni, si elle ne fait plus partie de l’UE, il existe encore des conventions bilatérales avec la France, héritées de l’époque où elle était dans l’UE, stipulant que les décisions d’un juge français peuvent être reconnues outre-Manche. Le cas de la Suisse est un peu plus complexe. Si elle ne fait pas partie de l’UE, elle a toutefois signé des accords internationaux avec cette dernière qui permettent de faire plus facilement exécuter les décisions. Une difficulté supplémentaire : l’accès à l’identité bancaire d’un débiteur, moins facile qu’en France.
Si elle a dopé le marché et fait exploser le nombre de pays intervenant aux enchères, l’internationalisation entraîne des complications liées au paiement, à l’assurance, au transport, lorsque l’acheteur est installé dans un pays lointain.
Que faire si un enchérisseur d’une sculpture de Yayoi Kusama ou d’un tableau de George Condo à 500 000 euros ne paie pas ? Comment recouvrer cette somme ? Le plus souvent, on doit saisir les juridictions visées dans les conditions générales de ventes. On est alors obligé de faire exécuter une décision du tribunal judiciaire de Paris ou la Haute Cour de Londres... à Shanghaï ou à Sydney. Mieux vaut aimer les sports d’endurance et, dans certains cas, bon courage !
Vous suggérez le recours à une solution peu connue, celle de l’arbitrage international. Quel en est le principe ?
Il s’appuie sur la convention de New York de 1958, que plus de 150 juridictions ont signée. Un tribunal arbitral – l’équivalent d’une justice privée – peut prononcer une sentence arbitrale exécutable dans le monde entier, même en Chine, dans tout pays ayant signé cette convention. C’est une justice efficace, plus rapide, certes un peu plus chère, mais aussi discrète, car soumise à la confidentialité. Il est possible de mettre en place, en amont de la vente, des clauses d’arbitrage qui permettent de dépossé- der le juge de droit commun et de confier le dossier à un tribunal d’arbitrage international. Un résultat peut être alors obtenu en moyenne en quinze à dix-huit mois pour un litige simple, et les fonds sont récupérés. J’ai en tête l’exemple d’une vente de gré à gré d’une œuvre d’Auguste Renoir impliquant un Italien, un Américain et un Français. Le contrat de vente comprenant une clause d’arbitrage, une solution rapide fut trouvée.
Souvent, les maisons de ventes préfèrent faire une croix sur l’acquéreur...
Elles annulent alors la vente et appellent le dernier sous-enchérisseur pour réaliser une private sale [vente privée]. C’est un réflexe pragmatique. La fast money est parfois plus intéressante que de tenter de récupérer la somme plus tard, surtout si l’écart entre l’enchère et la vente de gré à gré est peu important... Encore faut-il que le sous-en-chérisseur soit toujours intéressé et n’ait pas mis son argent ailleurs entretemps ! Une autre option est de faire repasser l’œuvre après folle enchère, mais on connaît les règles du marché : l’excitation n’est plus la même si elle est invendue ou repasse en salle de ventes six mois plus tard. Il faut alors souvent attendre plusieurs années avant de la remettre en vente. De plus, alors que le marché se tend, avec plus de prudence dans les achats, cette technique de déplacer la vente en private sale s’est complexifiée...
Le défaut de paiement est-il fréquent ?
Autant être franc : tout acheteur, arrivé à un certain niveau de prix, peut avoir un problème. Il peut enchérir à 5 millions d’euros, mais pour une raison ou une autre n’a plus les fonds au moment d’acheter, ou veut retarder son paiement, ou encore payer en vingt fois sans information préalable, alors que le paiement est exigible en trente jours... Or, le vendeur a besoin de cette somme ! N’oubliez pas la fameuse règle lugubre des trois D : dette, décès, divorce. On ne se défait pas d’une toile de la période bleue ou rose de Pablo Picasso du jour au lendemain sans une raison majeure ! Ni même d’une sculp- ture moins importante, mais avec laquelle on vivait... Le détenteur, pour qui c’est aussi un placement, peut également se séparer d’une œuvre pour un autre achat, s’étant engagé sur une autre acquisition, et se retrouver en difficulté si l’argent n’arrive pas.
La clause d’arbitrage est-elle donc une solution ?
Elle reste redoutablement efficace pour forcer le paiement. Que l’adjudicataire soit américain, japonais ou chinois, il va souvent rechercher un accord à l’amiable après avoir appris le déclenchement de la procédure d’arbitrage, car il risque d’être condamné non seulement à la saisie de ses biens, mais aussi à payer les frais judiciaires de la partie adverse – ce que l’on n’est jamais assuré d’obtenir avec une procédure classique. C’est un énorme moyen de pression ! Encore faut-il que les parties concernées par la transaction – par exemple l’acheteur et la maison de ventes – se soient mises d’accord en amont pour que leur litige soit soumis à l’arbitrage. L’arbitrage reste la procédure reine pour recouvrer une somme dans des dossiers financiers ou du marché de l’art importants. Elle permet si besoin d’effectuer plusieurs types de saisies, financières ou mobilières, tels une voiture, une cave à vin, des montres, un tableau, et même des parts dans une société. Le marché de l’art est-il éduqué à cette technique procédurale liée au droit des affaires ? La réponse est non ! Il commence à l’être, au fur et à mesure de la financiarisation du marché et de l’arrivée des fonds d’investissement côté acheteur, vendeur et maisons de ventes... Ces fonds importent en effet dans le secteur du marché de l’art des réflexes de droits des affaires acquis dans leurs domaines précédents. Un individu qui a fait fortune dans le gaz et le pétrole et qui a recours à une maison de ventes, ou ouvre une galerie, a l’habitude de ce type de procédures. Ne pas penser à ce dispositif à l’heure de l’internationalisation du marché est une folie !
Cette procédure onéreuse reste-t-elle réservée aux grosses maisons de ventes et aux mégagaleries ?
L’arbitrage, qui concerne aussi les courtiers et les advisors, a longtemps été considéré comme une justice d’élite, et chère, effectivement. Classiquement, ce sont les transactions à plusieurs millions d’euros qui sont concernées. Cependant, des centres d’arbitrages se sont développés partout, à Paris, Hong Kong, Londres et ailleurs, spécialisés dans les plus petits litiges, et qui coûtent moins cher aux parties, avec le même résultat. Aujourd’hui, il est possible de faire de l’arbitrage sur une vente à 100 000 euros. Certaines maisons de ventes ou galeries, fonctionnant à flux tendus, n’ont néanmoins pas les moyens d’engager de gros frais dès le départ, même en sachant retrouver ses fonds à l’arrivée.
C’est pourquoi dans l’arbitrage aussi, le third party funding [financement par un tiers] s’est développé. Ce système permet de faire financer sa démarche. L’apporteur touchera alors un pourcentage sur le fruit de la procédure. Les règlements d’arbitrages prévoient aujourd’hui ce cas de figure. Le marché français, en pleine croissance, mériterait de se pencher davantage sur cet outil méconnu, face aux risques accrus dus à la mondialisation.