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Critique

Changer le monde à corps défendant

Sous le titre « Corps et âmes », la Bourse de commerce – Pinault Collection, à Paris, propose une exposition aussi passionnante que foisonnante.

Marc Donnadieu
29 avril 2025
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Gideon Appah, The Woman Bathing, 2021, huile et acrylique sur toile. © Gideon Appah. Courtesy de la Pinault Collection et de Venus Over Manhattan. Photo Zachary Fischman

Gideon Appah, The Woman Bathing, 2021, huile et acrylique sur toile. © Gideon Appah. Courtesy de la Pinault Collection et de Venus Over Manhattan. Photo Zachary Fischman

La Bourse du commerce dispose, il est vrai, des trésors de la collection de l’entrepreneur-mécène François Pinault, parmi lesquels figurent plusieurs ensembles exceptionnels : les huit autoportraits monumentaux de la série Avignon (2014) de Georg Baselitz, présentés à la Biennale de Venise de 2015, l’installation complète RITUAL, 25.3 – 7.5.02 (2002) de Miriam Cahn, autour de la maladie et du décès de son père, sans oublier l’incroyable plâtre pour fonte d’Iris, messagère des dieux (1890-1891) d’Auguste Rodin, ainsi que deux tirages subtils et délicats : Noire et Blanche (1926) de Man Ray et Muse endormie (1910) de Constantin Brancusi.

L’œuvre devient lieu de résistance, de transformation et de reliance autant qu’expression et libération.

Corps et âmes en question

Sous la direction générale d’Emma Lavigne, pas moins de quatre expositions conjointes sont convoquées afin de sonder la prégnance du corps et la complexité de l’âme humaine : celle de la collection ; une sélection de vidéos de l’Africain-Américain Arthur Jafa ; un ensemble de vingt-quatre sculptures de l’artiste libanais Ali Cherri pour les vitrines de la rotonde ; enfin, un choix de photographies quasi inédites en France de l’Africaine-Américaine Deana Lawson, au premier étage.

Pour autant, c’est moins toutes les figurations possibles du corps et de l’âme qui s’y déroulent selon les trois chapitres du « corps témoin », du « corps exposé » et de « l’âme au corps », que les expressions polyphoniques d’un monde en réparation qui se déplient dans l’espace. Et la plupart des artistes et des œuvres présentées semblent ne plus vouloir rester de simples objets au sein de récits historiques, culturels ou esthétiques établis sans ou hors d’eux, mais devenir les sujets actifs de prises de paroles sociales, identitaires et sexuelles, tout à la fois personnelles et collectives. « Je signifie toujours nous », souligne l’artiste Miriam Cahn.

Les photographes LaToya Ruby Frazier, Deana Lawson, Zanele Muholi en témoignent également ici ; de même que Kara Walker par l’intermédiaire de son dessin particulièrement intense : The moral arc of history ideally bends towards justice but just as soon as not curves back around toward barbarism, sadism, and unrestrained chaos (l’arc moral de l’histoire tend idéalement vers la justice, mais il peut tout aussi bien tendre vers la barbarie, le sadisme et le chaos effréné ; 2010) ; ou encore Kerry James Marshall à travers sa peinture monumentale Beauty Examined (1993) dédiée à la Sud-Africaine Swatche, laquelle fut exhibée tout au début du xixe siècle, en Europe, sous les sobriquets de « Vénus hottentote » ou de « Fat Bum », dans des salles de spectacles, des cabarets, voire des maisons closes, jusqu’à être examinée à la loupe in vivo puis moulée, disséquée et reconstituée post mortem par des zoologues français, dont Étienne Geoffroy Saint-Hilaire et Georges Cuvier. Aussi l’exposition « Corps et âmes » pose-t-elle plus de questions qu’elle ne fournit de réponses sur le présent du monde. Comment rester humain au cœur de l’inhumanité du réel ? Comment se tenir debout quand rien ne nous maintient ? Comment apporter une dignité à ce/ceux que l’on a toujours considéré(s) comme indigne(s) ? Comment redonner de la visibilité à ce/ceux qui a/ont été historiquement ou esthétiquement invisibilisé(s), effacé(s), nié(s), spolié(s) ? Et de quelles façons peut-on ou doit-on le faire en tant qu’artiste ? En (ré)exhumant ce visible oblitéré comme le fait Ali Cherri ? En collectionnant compulsivement toutes les archives encore existantes à la manière d’Arthur Jafa dans Love Is the Message, the Message Is Death (2016) ? En produisant des modes de relations ou des langages inédits comme le font Anna Halprin et Seth Hill à travers le workshop chorégraphique interracial Right On (Ceremony of Us) (1969), ou Ana Mendieta par le biais de ses performances, photographies et films, dont le stupéfiant Butterfly (1975) qui clôture l’exposition de son corps chrysalide ?

Retrouver un corps, c’est, dès lors, retrouver des gestes, une langue ou un territoire « à soi » : les Body Prints de David Hammons, les retours à la terre mère originelle d’Ana Mendieta ou les nouveaux liens spatiaux et énergétiques des performances de Senga Nengudi, par exemple. L’œuvre devient lieu de résistance, de transformation et de reliance autant qu’expression et libération.

Michael Armitage, Dandora (Xala, Musicians), 2022, huile sur tissu d’écorce de Lugudo. © Michael Armitage. Courtesy de la Pinault Collection. Photo White Cube/ David Westwood

Vers un partage du sensible

Pour sa part, Ali Cherri en réfère à Jean Cocteau et à son célèbre film Le Sang d’un poète (1930), en demandant au spectateur si l’art et l’œuvre peuvent être un temps et un espace qui permettent de rêver à un monde autre puis de résister à l’effacement ou à l’oubli de ce songe, afin de l’inscrire définitivement dans le réel. L’exposition débute ainsi sur un hommage de Gideon Appah aux paysages paradisiaques de Paul Gauguin – Mahana no atua (1894) – et d’Henri Matisse – La Joie de vivre (1905-1906) –, et se poursuit par des références à Édouard Manet – Olympia (1863) – chez Zanele Muholi, aux danseuses d’Edgar Degas chez Lynette Yiadom-Boakye, à Francis Picabia – La Nuit espagnole (1922) – chez Kerry James Marshall, ou encore à Edvard Munch chez Michael Armitage... Et ce dernier d’affirmer : « Un artiste n’est ni tenu ni chargé de traiter des événements ou d’en rendre compte. Il y a dans l’art un côté poétique auquel on ne peut pas se fier comme un document historique, mais ce côté poétique peut être émouvant et il peut être aussi une manière subtile, moins politique, d’interroger une situation. »

Formule qui rejoint celle de Jean-Paul Sartre, lequel, dans Esquisse d’une théorie des émotions (1939), professait : « À présent, nous pouvons concevoir ce qu’est une émotion. C’est une transformation du monde. Lorsque les chemins tracés deviennent trop difficiles ou lorsque nous ne voyons pas de chemin, nous ne pouvons plus demeurer dans un monde si urgent et si difficile. Toutes les voies sont barrées, il faut pourtant agir. Alors nous essayons de changer le monde [...]. Entendons bien qu’il ne s’agit pas d’un jeu : nous y sommes acculés et nous nous jetons dans cette nouvelle attitude avec toute la force dont nous disposons. »

Entre politique et poétique, révolte et engagement, « Corps et âme », en particulier à travers la formidable galerie de peintures qu’elle déploie, redéfinit ainsi le regard du visiteur-spectateur sur l’art : contempler une œuvre, s’y absorber, c’est déchiffrer le monde en se passant du réel et en se délivrant de soi-même, puis retrouver le monde en se distanciant du réel et en se découvrant soi-même.

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« Corps et âmes », 5 mars-25 août 2025, Bourse du commerce – Pinault Collection, 2, rue de Viarmes, 75001 Paris, pinaultcollection.com

ExpositionsPinault CollectionBourse de CommerceArt ContemporainEmma Lavigne
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