L’histoire de ce bronze est digne d’un roman. L’Âge mûr – aussi connu sous les noms de La Destinée, Le Chemin de la vie ou La Fatalité – disparaît après ses dernières expositions publiques en 1907 et 1908, à Paris, chez le fondeur Eugène Blot. Plus de cent ans après que l’on a perdu sa trace, cette œuvre de Camille Claudel (1864-1943) refait surface à la suite de l’inventaire de succession d’un appartement parisien.
Ce fut une incroyable surprise pour son découvreur, le commissaire-priseur Matthieu Semont, gérant de la maison Philocale, laquelle propose l’œuvre aux enchères le 16 février 2025 à Orléans. « La découverte s’est faite dans un appartement cossu au pied de la tour Eiffel, raconte, ému, Matthieu Semont. J’avançais dans la pénombre dans ce lieu poussiéreux inhabité depuis une quinzaine d’années. J’aperçois d’abord une petite sculpture d’Antoine Bourdelle représentant Pénélope (Antoine Bourdelle, Pénélope au fuseau, 1905, bronze, no 2, est. 4 000-7 000 euros). Poursuivant mon exploration, je m’arrête devant une commode Louis XVI. Je soulève un drap, et mon regard tombe sur la signature de Camille Claudel modelée dans du bronze. Je reconnais la figure de L’Implorante, que j’avais eue entre les mains lors d’un stage, il y a plus de vingt ans. Mais, elle n’est pas seule, elle fait partie d’un groupe sculpté aux détails magnifiques. Je comprends que je suis face à L’Âge mûr ».
Une fonte extraordinaire
Pris de doute quant à l’authenticité du bronze, le commissaire-priseur se tourne vers le cabinet d’expertise parisien d’Alexandre Lacroix et Élodie Jeannest, lesquels lui confirment qu’il tient entre ses mains un trésor et fixent une estimation entre 1,5 et 2 million(s) d’euros. Ce n’est en effet pas seulement un nouveau bronze de Camille Claudel, c’est une fonte au sable extraordinaire et à la patine brune splendide.
Celle-ci raconte de manière ascensionnelle la destinée humaine et les trois âges de la vie, ballotés sur un socle en forme de vague. « C’est une œuvre de maturité qui en dit beaucoup plus. Tout le drame de Camille Claudel, alors âgée de 34 ans, est là. L’artiste figure à droite. Au milieu, on voit Auguste Rodin, l’homme d’âge mûr inspiré d’un personnage des Bourgeois de Calais. À gauche, Rose [Beuret], la vieille femme sous les traits de Clotho – sujet mythologique d’une autre sculpture de Camille Claudel. On comprend qu’il s’agit là de Camille Claudel essayant de retenir le sculpteur Rodin, tandis qu’il est attiré dans les bras de la couturière Rose Beuret, sa compagne plus âgée. C’est une œuvre autobiographique », résume Alexandre Lacroix.
Après le refus de la pièce au Salon de 1900, il faut attendre 1902 pour qu’une première fonte (conservée au musée d’Orsay, à Paris) soit exécutée par Thiébaut Frères, sur commande du capitaine Pierre Tissier. Deux ans plus tard, Eugène Blot achète à Camille Claudel les droits de tirage. Le fondeur veut réaliser une édition à six exemplaires, au format d’un tiers de l’œuvre originelle. Sur les six, nous ne connaissons que le no 3, conservé au musée Camille-Claudel, à Nogent-sur-Seine. Qu’en est-il des autres ? Mystère. Bien qu’en 1937, Eugène Blot ait cédé au fondeur Leblanc-Barbedienne ses droits pour ce modèle, aucun autre exemplaire de L’Âge mûr n’a ensuite été fondu. L’apparition sur le marché de l’exemplaire no 1 fondu par Eugène Blot est donc un véritable événement !
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« Tableaux et sculptures modernes », 16 février 2025, Philocale – Matthieu Semont, 12, rue Jean-Nicot, 45140 Saint-Jean-de-la-Ruelle, interencheres.com