Premier salon à inaugurer le calendrier des foires internationales d’art, la 13e édition d’Art Genève s’est achevée dimanche 2 février sur un bilan très positif parmi les 80 galeries et 24 institutions participantes. Voilà qui confirme Charlotte Diwan, sa nouvelle directrice depuis deux ans, à la tête d’une Foire de très grande qualité et sa réussite à fidéliser les galeristes – Mennour, Hauser & Wirth, Eva Presenhuber et tous les acteurs genevois – qui reviennent globalement chaque année ; tout en convainquant certains de la rejoindre (Lovay Fine Arts) et d’autres de la réintégrer après une longue absence.
C’est le cas de la galerie Loevenbruck qui retrouvait les plafonds industriels de Palexpo après une éclipse de huit ans. « Nous avions arrêté de venir par manque de contact sur place et de ventes. Et puis des collectionneurs suisses que nous n’avions jamais vus ont commencé à nous acheter des pièces au téléphone ou par courriel. Nous nous sommes dit cette année que nous allions faire connaissance », explique Hervé Loevenbruck, estimant qu’en 2025 les affaires genevoises de la galerie parisienne allaient reprendre. Sur son stand, il a accroché des œuvres de Parmentier, Steven Parrino mais aussi, plus stratégiquement, des artistes du cru, comme un grand Olivier Mosset de deux mètres, l’édition de tête du même artiste pour un catalogue coédité avec le Mamco, et une sculpture en plastique de 1967 de Piotr Kowalski éditée par Claude Givaudan, galeriste genevois visionnaire, passionné par le rapport entre l’art et la science. « Ces partenariats avec des artistes et des institutions d’ici ont fait que cela faisait aussi sens d’être présent à Art Genève », explique le galeriste parisien.
Cette stratégie locale a également été adoptée par les Zurichoises de Karma International qui ont exposé Sylvie Fleury dans toutes ses variations. « Elle est une star ici, confirme Meret Aeschbach. C’est notre deuxième participation, et cela se passe toujours très bien. Le public est très différent de celui d’Art Basel. Il est principalement composé de Genevois dont certains ne vont pas forcément à la foire de Bâle. » Chez les Bolognais de la Galleria Enrico Astuni, dont c’est la troisième participation, c’est le format de cette foire mélangeant exposants privés et institutions publiques qui a motivé le voyage. « Pour nous, cette connexion directe avec des musées est très intéressante, analyse Annalisa Biggi.L’année dernière, nous avons ainsi vendu des pièces au Nouveau Musée National de Monaco et au Mamco [de Genève]. » Cette année, ce dernier musée a fait ses emplettes chez In Situ-fabienne leclerc, Lovay Fine Arts, Larkin Erdmann, Hauser & Wirth et Loevenbruck, où Lionel Bovier, directeur du musée, a fait l’acquisition d’un tabouret faussement rustique sculpté d’escargots signé Dewar & Gicquel.

Peintures du Lausannois Eliot Möwes sur le stand de Kissed Then Burned sur Art Genève 2025. Photo : Louis Michel
Le commerce a été actif. Du côté de chez Skopia, dès le soir du vernissage, le galeriste Pierre-Henri Jaccaud a bien vendu les artistes de son écurie : Thomas Huber, Pierre Schwerzmann, Alain Huck, Franz Erhard Walther ou encore Franz Gertsch. Il a aussi cédé des toiles de sa nouvelle pépite, Leanne Picthall, jeune peintre anglo-vaudoise sur laquelle le galeriste vient de jeter son dévolu, alors qu’il recrute peu, et encore moins dans le domaine de l’art figuratif. Bonne pioche ! Son stand a été littéralement dévalisé de ces petits tableaux autobiographiques et sensibles. Anne Minazio, elle, a fait la bascule. La fondatrice de l’espace d’art indépendant HIT en 2013 est devenue galeriste en début d’année sous le nom de Kissed Then Burned. Pour sa première participation « commerciale », la Genevoise a fait un carton plein avec les peintures en grand format et en noir et blanc du Lausannois Eliot Möwes.
Le succès d’Art Genève ne se mesure pas seulement à l’aune de ceux qui ont vendu, un peu, beaucoup ou pas du tout. Mais aussi à celui des événements qui surgissent dans le sillage de la manifestation ailleurs dans la ville. À Plan-les-Ouates, c’est Séverine Redon, entrepreneuse et fondatrice de l’association HiFlow Geneva, qui a consacré pour la première fois l’intégralité de son espace polyvalent à une exposition sur la thématique de l’eau, en collaboration avec des exposants d’Art Genève parmi lesquelles Eva Presenhuber, Sébastien Bertrand, Xippas, Peter Kilchmann et Fabienne Levy.

Dialogue entre Heidi Bucher et Marie Hazard à la galerie Frédéric Maillard, Genève. Photo : Annik Wetter
Dans le centre de la cité, c’est Frédéric Maillard qui a inauguré la veille de l’ouverture de la foire une galerie à son nom. Le jeune marchand a démarré sa carrière chez Christie’s, est ensuite passé chez Lévy Gorvy puis par l’antenne genevoise de Gagosian, laquelle a définitivement fermé ses portes l’année dernière. Il caressait depuis longtemps le rêve de se lancer comme galeriste. Il a trouvé un ancien club de strip-tease idéalement situé entre les grandes artères commerciales et la vieille ville de Genève. Dans cet espace monumental laissé dans un état « brut de décoffrage », il fait dialoguer les œuvres de l’artiste zurichoise Heidi Bucher avec les travaux tissés de la Française Marie Hazard. Ce décor est parfait pour les pièces de la première, célèbre pour avoir intégralement « décalquer » la maison de ses grands-parents avec des plaques de latex fines comme des peaux. Sa fascination pour l’espace architectural traité comme un épiderme fait penser à Kiki Smith ou à Rachel Whiteread. « Heidi Bucher et Marie Hazard sont deux artistes de deux générations différentes, mais qui se retrouvent dans leur intérêt commun pour le corps, le passage du temps et la matérialité de leurs travaux, explique Frédéric Maillard dans ce lieu qu’il a loué pour deux mois. On verra ensuite si je peux le garder de manière permanente. Le Mamco et le Centre d’art contemporain vont rester fermés longtemps en raison de leur rénovation. C’est le moment de proposer des choses ambitieuses et d’arrêter de se complexer face à Zurich. Il faut oser montrer des expositions pointues, comme celles-ci où aucune des deux artistes n’a jamais été présentée ici ». « Il y a de l’appétit à Genève pour ce genre de projet, j’en suis convaincu », conclut-il.