À l’Arsenale, « Foreigners everywhere », la grande exposition concoctée par Adriano Pedrosa, directeur artistique du MASP (Museo de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand) et commissaire de cette Biennale 2024, remplit ses promesses. Cohérente d’un bout à l’autre, lisible et copieuse, elle brasse des thématiques en vogue sur l’identité, la nationalité, la race, le genre, la sexualité… Tout ce qui questionne « l’autre » et la différence, le tout sous l’ombrelle plus large du Sud Global, concept géopolitique désignant principalement les pays de l’hémisphère sud. Sa principale force ? Présenter nombre d’artistes peu ou jamais vus en Europe et a fortiori à la Biennale de Venise, mais aussi faire la part belle à des territoires souvent négligés.
C’est ainsi l’art aborigène d’Australie qui accueille les visiteurs à la Corderie. Ailleurs, c’est un Maori de Nouvelle-Zélande, Fred Graham, dont on peut voir des sculptures en bois des années 1970. Originaire du Mexique et établie à Berlin, Frieda Toranzo Jaeger a conçu pour sa part d’immenses panneaux, peintures à l’huile enrichies de broderies. Son utopie féministe et queer s’inspire des murals mexicains. Au revers, des dessins adressent des clins d’œil à l’île de Lesbos ainsi qu’à Frida Kahlo. Semi abstrait, les récents travaux d’Emmi Whitehorse, artiste indienne Navajo de Santa Fe, aux États-Unis, s’avèrent plus allusifs, tout comme les poétiques tentures de Dana Awartani, qui ne sont pas juste une installation colorée de plus. D’origine palestinienne, l’artiste a imbibé ces voiles de soie de teintures de colorants aux propriétés médicinales, évocation subtile et discrète des destructions et des blessures à Gaza, qui coulent comme des larmes sur le tissu.
Plus loin, changement de registre avec le Bolivien River Claure, qui s’est lui inspiré du Petit prince de Saint-Exupéry pour créer une scénographie théâtrale autour de la rose avec des femmes de son pays, dont on peut voir ici la photographie très réussie, « une façon de revoir ce texte avec des yeux contemporains, confie-t-il. Il reste difficile de ne parler que d’un territoire donc j’ai préféré mixer les cultures ». L’artiste libanais Omar Mismar, lui, mixe l’artisanat méditerranéen de la mosaïque avec des représentations queer ou autour de la question du pouvoir et de la domination, intervertissant les têtes d’un lion et d’un buffle engagés dans une lutte à mort. Le Péruvien Rember Yahuarcani met lui en exergue la mythologie des Indiens d’Amazonie dans de somptueuses peintures, où animaux, plantes et humains sont tous reliés, évoluant dans un même univers.
Des constantes reviennent chez les artistes, dont une partie sont autodidactes (ce qui se voit parfois), quand d’autres restent anonymes, issus d’un collectif, tel le groupe chilien Arpilleristas. Le travail du textile reste très présent dans cette sélection. Quelques installations remarquables – pour certaines déjà vues – jalonnent l’exposition, telle l’installation multividéo de la Marocaine Bouchra Khalili sur le thème de la migration, ou celle autour de l’eau de Daniel Otero Torres. Au final, ce panorama réjouissant n’évite pas l’écueil de la répétition, tant dans les propos que dans les formes, avec en définitive peu de grandes nouveautés sur le plan artistique.
Hormis les artistes et collectifs autochtones, souvent rattachés à un territoire, c’est aussi en filigrane la question de définir un « étranger » qu’interroge le parcours, alors que plus que jamais, avec la mondialisation et les brassages de cultures, les artistes sont des oiseaux migrateurs de gré ou de force, emportant avec eux leurs origines dans leurs bagages.
« Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere », 60e Exposition internationale d’art de la Biennale de Venise, du 20 avril au 24 novembre 2024, Giardini et Arsenale, Venise