Pour un chamboulement, il est de taille : nouveau nom – « Le Nouveau Printemps » –, nouvelles dates – au printemps, histoire de mieux coller au patronyme –, nouvelle périodicité – il devient annuel, mais sur une durée réduite à un mois –, géographie resserrée – le quartier Saint-Cyprien, sur la rive gauche de la Garonne –, enfin, nouveau concept : non pas un commissaire général, mais un « artiste-associé » qui déroule sa propre constellation de connaissances pour élaborer le programme de concert avec les organisateurs. Telle est, 32 ans après sa première édition, la philosophie du « Nouveau Printemps de Toulouse » qui a ouvert ses portes le 3 juin 2023. Il a été conçu sous la houlette de la designeuse matali crasset, première à essuyer les plâtres de cette nouvelle formule. « Nous avons aujourd’hui besoin de faire territoire, de faire famille, de faire communauté », explique-t-elle.
Comprendre : s’ancrer davantage dans un lieu, concevoir en synergie et impliquer davantage les acteurs du terrain. Un propos qui sourd en filigrane de la quinzaine d’expositions et autres installations – d’une trentaine d’artistes – déployées dans ce quartier Saint-Cyprien, qui permettent notamment de découvrir ou de redécouvrir des lieux singuliers comme cette splendide galerie toute parée de briques dissimulée dans les tréfonds du Théâtre Garonne, dans laquelle Julien Carreyn a accroché une série de Polaroïds récents intitulée Les Citrons du Tarn.

Camille Grosperrin et Julien Desailly, Les Invisibles, vue d’exposition, 2023. © Le Nouveau Printemps. Photo : Damien Aspe
L’hôpital de La Grave, lui, a été investi de multiples façons. Sous le haut dôme et les colonnes en trompe-l’œil de la Chapelle Saint-Joseph récemment restaurée, Camille Grosperrin et Julien Desailly présentent leur première œuvre à quatre mains : Les Invisibles, installation associant une structure en bois et un ensemble de pièces en céramique inspirées des silures, anguilles ou algues de la Garonne. L’une d’entre elles, mise en mouvement toutes les vingt minutes, s’agite telle une cloche de cérémonie (ou de bateau ?), transformant l’œuvre en pièce sonore.
Dans l’ancien réfectoire, une salle imposante avec une vue imprenable sur le fleuve, trois artistes norvégiens – Marianne Heske, Lars Laumann, Frida Orupabo – réunis par le commissaire italien Ivo Bonacorsi dessinent à leur manière Une Idée illimitée du Nord. Le rapport à l’eau, qu’elle soit gelée ou pas, est une évidence. Avec cette œuvre sonore intitulée Icebreaker, Marianne Heske, 77 ans, a enregistré à l’avant d’un brise-glace le son que produit ledit bateau lorsqu’il disloque la couche gelée d'un fjord pour se frayer un passage. Par les fenêtres, le visiteur peut admirer la Garonne s’écouler au moment même où celle-ci fait un ressaut. L’effet concomitant avec la production sonore est troublant. Et la métaphore – « briser la glace » – se fait, en outre, politique et… communautaire.

Constructlab, Le jardin de Sainte-Monique, vue d’exposition, 2023, Le Nouveau Printemps. © Margot De Oliveira Antonio
« Faire communauté », ambitionne matali crasset. C’est aussi l’objectif d’une poignée de constructions éparpillées dans Saint-Cyprien. Dans la cour Sainte-Monique, toujours au cœur de l’hôpital de La Grave, le collectif Constructlab a édifié sur l’ancien bassin central, avec force matériaux recyclés, une agora circulaire, pièce maîtresse d’un jardin expérimental qui comprend également plusieurs petites architectures destinées à faciliter la culture, la récolte et la transformation de plantes aromatiques et médicinales choisies spécifiquement pour « apaiser les sens ». Dessinés par matali crasset elle-même, un carrelet et un moulin à nef flottant – typologies ô combien vernaculaires de l’estuaire de la Garonne – ont été disposés dans les jardins respectivement du Château d’eau et Raymond VI, et invitent, tout l’été, à la convivialité.

Pierre La Police, Sans titre, vue d’exposition, 2023. © Le Nouveau Printemps. Photo : Damien Aspe
Aux Abattoirs, la jeune génération – Raisa Aid, Popline Fichot – ou presque – Juli Susin –, qui manipule à l’envi les médiums actuels – vidéo, technologie numérique, performativité… –, se frotte, pour le meilleur, à l’ancienne – Marinette Cueco, 89 ans, Claudine Monchaussé, 87 ans, Cornelia Hesse-Honegger, 78 ans – qui, elle, ne s’en laisse pas conter, bien au contraire, avec des travaux précurseurs sur le rapport au vivant. En témoignent la multitude d’Entrelacs de Marinette Cueco, ces œuvres réalisées en fibres végétales, d’une puissance insoupçonnée ; ou ces esquisses à la fois magnifiques et maléfiques signées Cornelia Hesse-Honegger de punaises – l’insecte – vivant à proximité de centrales nucléaires, dont les corps ont muté à cause de radiations de faible intensité. « Ces dessins sont un miroir de la manière dont nous vivons », nous dit l’artiste suisse et (clairement) lanceuse d’alerte. Une « mauvaise » manière donc, d’où un « reflet » plus qu’inquiétant. Une angoisse que l’illustrateur Pierre La Police se charge de bousculer avec humour et un zeste de causticité à travers une série de drapeaux bariolés, hissés sur sept hauts mâts dans le jardin Raymond VI.
Le « Nouveau Printemps de Toulouse », du 2 juin au 2 juillet 2023, dans le quartier Saint-Cyprien, Toulouse, sauf Chapelle et Réfectoire de La Grave (jusqu’au 3 septembre) et Les Abattoirs (jusqu’au 12 novembre).