Sur la première de couverture, une jeune femme voilée de noir se tient debout au milieu d’une avenue déserte. Bras ballants, gants de boxe rouges aux poings, elle nous défie de ses yeux graves. Cette Iranienne est une des nombreuses chanteuses que le régime en place a réduites au silence. Dans l’œil de Newsha Tavakolian, elles retrouvent leur voix, tout comme les vingt-trois artistes du livre Espace vital : femmes photographes iraniennes.
Dirigé par Anahita Ghabaian Etehadieh, fondatrice de la première galerie iranienne dédiée à la photographie contemporaine, l’ouvrage réunit trois générations de femmes photographes autour de thématiques liées à la société iranienne. Leurs œuvres, teintées d’un engagement politique souvent suggéré, résonnent fortement avec les luttes qui secouent actuellement le pays.
Les « pionnières » telles que Rana Javadi et Hengameh Golestan constituent des témoins privilégiés de la révolution de 1979, ainsi, déjà, du combat acharné des femmes, dont l’ardeur se perçoit dans les images de la manifestation du 8 mars cette année-là. La génération suivante s’est construite autour de la guerre Iran-Irak (1980-1988), qu’elle se réapproprie par un travail souvent plus conceptuel, usant notamment de la mise en scène. La série Nil, Nil de Shadi Ghadirian, une évocation du conflit à travers le quotidien, en est un puissant exemple.
Des œuvres féministes et poétiques
Aujourd’hui encore, cette guerre hante la société iranienne. Les plus jeunes se saisissent de ce traumatisme historique, telle Gohar Dashti dans sa série La Vie moderne et la guerre. Les femmes de cette dernière génération abordent également des sujets jusqu’ici tabous, touchant au corps et à l’intime, cependant qu’elles partagent avec la jeunesse mondiale une inquiétude environnementale.
Outre les thèmes récurrents de la famille, de la mémoire et de la disparition, ainsi que des actions ordinaires, comme le détournement d’images vernaculaires ou d’archives, les œuvres qui composent ce livre sont imprégnées de féminisme. Tahmineh Monzavi documente le quotidien violent des femmes les plus vulnérables, tandis que Maryam Firuzi voit dans les arts un remède aux maux du peuple iranien.
Ce recueil est porté par la fervente vitalité de ces vingt-trois femmes photographes dont les clichés sont empreints de poésie, cœur battant de la culture iranienne. Dans une société resserrant chaque jour l’étau sur ses citoyens et ses citoyennes, ces œuvres sont autant de preuves que « la photographie est un espace vital pour s’exprimer ».
Anahita Ghabaian Etehadieh (dir.), Espace vital : femmes photographes iraniennes, Paris, Textuel, 2023, 160 pages, 45 euros.