Il faut plusieurs années pour qu’un vin arrive à maturité. À Bordeaux, le salon BAD+, lancé en 2022 par Jean-Daniel Compain, enfant de la région et ancien de la FIAC, présente cette semaine sa deuxième édition au bord de la Garonne. Organisé cette année en mai et non plus en juillet, il a attiré bien plus de monde cette fois-ci au vernissage le 4 mai, dont des membres d’un très important cabinet d’assurance et de nombreux entrepreneurs du vin. C’est du reste l’un des enjeux de l’événement : s’appuyer sur ce réseau unique au monde de propriétés viticoles – qui achètent souvent de l’art – mais aussi sur les négociants et autres intermédiaires.
L’écosystème autour de la foire se renforce, avec cette année huit châteaux bordelais participants au programme de BAD+, dont Pape Clément ou Smith Haut Lafitte, qui compte une vingtaine de sculptures d’artistes de renom sur son domaine. Ses propriétaires, la famille Cathiard, ont prêté une mâchoire de dragon monumentale de Huang Yong Ping pour « Collector », qui regroupe jusqu’au 23 juillet au Jardin public de Bordeaux des pièces de Katinka Bock à Anthony Caro provenant d’autres grandes propriétés viticoles et sélectionnées par Cédric Fauq, commissaire général au Capc musée d’art contemporain de Bordeaux. L’œuvre du Chinois avait été présentée au Grand Palais pour son « Monumenta » en 2016.
La sculpture se fraie pour la première fois une place devant le hangar 14 où se tient la foire, avec des œuvres entre autres de Ru Xiaofan Ru, Philippe Hiquily, Francesco Marino Di Teana… « Il y a de la place pour une foire autre que parisienne », confie Constance Rubini, directrice du musée des arts décoratifs de Bordeaux. Qui ajoute : « C’était important pour notre musée fermé pour travaux jusqu’en 2025 d’avoir une présence pendant BAD+ grâce à cette exposition de Barthélémy Toguo ». L’artiste présente une dizaine de vases peints – odes à Bacchus et aux vignes – dans les chais du château Fleur de Lisse, dont c’est la première exposition.

Vue du stand de la galerie christian berst art brut. Photo : A.C.
Le conseiller artistique de la foire, Adrien de Rochebouët, s’est démené pour faire venir des galeries de qualité et renforcer le niveau du salon, une gageure pour une deuxième édition. L’un des avantages pour les quelque 55 exposants : ils bénéficient la plupart du temps de stands à la surface très généreuse. Au premier étage, où se concentrent les meilleures galeries, Loeve & Co participe ainsi avec notamment des pièces d’art brut de Robert Coutelas, très prisé des Japonais, à des prix allant jusqu’à 37 500 euros. Le stand contigu, Loewe & Collect, propose, lui, des dessins ou des éditions à moins de 2 000 euros de Dora Maar ou Tadao Ando, dont plusieurs sont rapidement partis. christian berst art brut fait quant à lui dialoguer les enveloppes décorées par Kunizo Matsumoto avec une touche pop, pour moins de 1 000 euros, et des dessins colorés très graphiques de beau format par Momoko Nakagawa à 4 000 euros, dont l’un a rapidement rejoint une importante collection régionale. La galerie HdM (Hadrien de Montferrand) a apporté des œuvres de Huang Xiaoliang, du jeune Zhang Shujian avec un saisissant petit portrait de vieillard édenté de 2023, ou encore… de Claude Viallat. L’artiste de Supports/Surfaces, mis à l’honneur au CAPC de Bordeaux en 1980 par Jean-Louis Froment, est décidément l’une des vedettes de cette édition avec quatre galeries présentant ses œuvres. Telle la galerie Artset de Limoges, dont le père du galeriste, Antoine Hyvernaud, avait tissé des liens amicaux avec le peintre. Outre une exceptionnelle peinture monumentale jaune du Suédois Bengt Lindström, l’enseigne présente un splendide grand tissu peint de Viallat à plus de 70 000 euros.

Stand de la galerie Alvaro Alcazar de Madrid. Photo : D.R.
Cette deuxième édition offre d’ailleurs davantage de noms établis venant du second marché que l’an dernier. Le signe que la foire commence à s’installer ? Ingert (Paris) présente ainsi des épreuves uniques aquarellées de Sam Szafran, escaliers ou feuillages, à plus de 10 000 euros. Muscari (Pau) expose des céramiques de Picasso et des gravures de Soulages. Plusieurs enseignes espagnoles participent à cette édition, dont Alvaro Alcazar de Madrid, venu avec des œuvres de David Nash, une colonne d’Eduardo Arroyo surmontée d’une bouteille – en clin d’œil à la région ? – ou un grand collage de 1980 du même artiste pour 70 000 euros. Parmi les jeunes artistes prometteurs figurent sur cette édition Felipe Romero Beltran chez Hatch (Paris), nouvel exposant, avec sa série Dialecte sur les migrants marocains en attente en Espagne de leur autorisation de séjourner sur le sol européen. La galerie lui consacrera un focus sur le secteur Curiosa à Paris Photo en novembre prochain. Ou les dessins d’Eva Miquel chez Palmadotze de Barcelone.
Le design est aussi présent sur la foire avec notamment la galerie néerlandaise Mia Karlova (Amsterdam) qui propose pour moins de 10 000 euros un fauteuil en couches de carton superposées et peintes de Vadim Kibardin, installé à Prague, et dont une variante est entrée précédemment dans la collection de Galila Barzilai-Hollander à Bruxelles. Les ventes se poursuivaient doucement le vendredi 5 mai. Comme un nouveau vin, BAD+ reste encore un peu jeune, inégal. Il se laisse boire, et laisse deviner tout son potentiel à venir…
BAD+ Art Fair, 5-7 mai 2023, Hangar 14, 115, quai des Chartrons, 33000 Bordeaux, bad-bordeaux.com