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Fondation Opale
Entretien

Samuel Gross : « Il faut sortir l'art contemporain aborigène du regard ethnographique »

Ancien responsable artistique à l’Institut suisse de Rome et au musée d’Art et d’Histoire de Genève, le commissaire d’exposition de la Fondation Opale, à Lens, dans le Valais, entend poursuivre la mission de décloisonnement portée par cette institution unique en Europe.

Propos recueillis par Emmanuel Grandjean
18 décembre 2025
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Samuel Gross. © Fondation Opale

Samuel Gross. © Fondation Opale

Vous avez dirigé, à Apples, en Suisse, la Fondation Speerstra, qui possédait une très importante collection d’art du graffiti historique. Vous êtes désormais le commissaire d’exposition de la Fondation Opale, à Lens, consacrée à l’art aborigène contemporain d’Australie. Diriez-vous que ce dernier entre davantage en résonance avec vos intérêts artistiques ?

Ce sont deux champs très différents. Nous avons beaucoup à apprendre de l’art contemporain aborigène, de cette manière de considérer la création non pas comme un espace de distraction ou d’expression légère, mais comme un véritable médium de transmission, de mémoire et d’existence. Chez ces artistes, la pratique est une réalité d’usage, pas un simple geste esthétique. C’est une façon d’affirmer leur existence et leur continuité culturelle. Leurs œuvres dépassent nos cadres d’analyse formalistes : chez eux, la distinction entre abstraction et figuration ne fait aucun sens. C’est le genre de sujet qui m’a toujours beaucoup intéressé.

Comme la peinture de Sally Gabori, faite de grandes plages de couleur, qui représente les lieux de son île natale...

Et chacun de ces endroits correspond à un moment de sa vie, à des personnes qu’elle a connues. Dans son groupe, comme dans beaucoup de communautés aborigènes, les gens portent leur nom et celui d’un lieu faisant partie de leur identité. Ils en sont les gardiens et dépositaires. Lorsque Sally Gabori peint un endroit, elle peint aussi une mémoire dont elle est garante. C’est une représentation à la fois spirituelle, affective et existentielle. Je suis frappé par la manière dont cet art intègre des paramètres spirituels, territoriaux ou encore communautaires, lesquels sont très éloignés de nos pratiques occidentales.

Communautaire ? Pouvez-vous nous expliquer ?

Je rentre tout juste d’un voyage en Australie. C’était une expérience impressionnante. Les distances sont inimaginables pour un Européen. Certaines communautés se trouvent à six ou sept heures de route de la ville la plus proche. Malgré cet isolement, la pratique artistique y est incroyablement vivante. J’ai rendu visite à une communauté très reculée, celle des Spinifex [du nom d’une plante australienne], avec laquelle nous préparons une exposition. C’est un village d’à peine 200 habitants, et pourtant, une vingtaine de personnes peignent régulièrement au centre d’art. Peindre, pour eux, est aussi un moyen d’exister. Ce n’est qu’en 1967 que les Aborigènes ont obtenu la citoyenneté australienne, auparavant ils n’étaient pas reconnus. Ils ont donc choisi le champ de l’art comme moyen de diffuser leur culture et de se réapproprier leur identité. L’art est devenu un vecteur essentiel, presque constitutif de leur être collectif.

Ouverte en 2018, la Fondation Opale est portée par la collection de sa créatrice Bérengère Primat, laquelle a souvent confié à des commissaires différents la réalisation de ses expositions. Vous êtes désormais le seul commissaire du lieu avec Georges Petitjean, le conservateur des collections. Qu’est-ce que cela changera ?

Il y aura sans doute encore des commissaires invités, mais ce qui importe à présent est de développer la diffusion de la collection de la Fondation vers d’autres institutions. Je ne parle pas de simples prêts, que nous faisons déjà régulièrement. Ce sont des moments où Opale s’engage plus largement, parfois en ouvrant ses réserves, en partageant ses connaissances ou en contribuant à la construction d’un propos d’exposition incluant, par exemple, des artistes aborigènes. Il existe deux institutions dans le monde qui diffusent ces artistes : la Kluge-Ruhe Aboriginal Art Collection de l’University of Virginia, à Charlottesville, aux États-Unis, et nous. Nous préparons actuellement une expo- sition au musée Rath, à Genève. En se présentant ainsi hors de ses murs, la Fondation s’affirme comme un acteur de la scène artistique internationale.

Pour votre première exposition, à l’été 2025, vous avez établi un dialogue entre l’artiste américain Forrest Bess et Sally Gabori, tous les deux décédés et qui ne se sont jamais connus de leur vivant. Vous aimez ce genre de rencontre improbable entre des œuvres partageant certaines analogies. Cela sera-t-il votre crédo ?

Avant cela, la Fondation Opale avait déjà organisé une grande exposition sur Yves Klein, montrant à quel point celui-ci s’était intéressé à certaines pratiques proches de celles d’artistes aborigènes. Une autre encore, montée par Jean-Hubert Martin, « Rien de trop beau pour les dieux », avait proposé une réflexion sur le rapport spirituel des artistes à leur création, au-delà de toute catégorisation culturelle. L’exposition sur Forrest Bess et Sally Gabori s’inscrivait dans cette continuité. Ce qui est plus récent, en revanche, c’est la présentation de monographies. L’un de nos projets majeurs pour 2026 sera une grande rétrospective consacrée à Emily Kam Kngwarray, une artiste incontournable. Cette proposition est une étape importante pour la Fondation, mais aussi pour la reconnaissance internationale de ces artistes.

Sally Gabori a été exposée à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris, en 2022, et son travail présenté dans de nombreuses biennales... La reconnaissance internationale de l’art contemporain aborigène va en effet bon train. Comment les communautés conservent- elles leur autonomie face à ce succès et, inévitablement, face au marché de l’art ?

C’est une question complexe. Je ne dirais pas qu’elles échappent complètement à la logique du marché, mais elles en maîtrisent une partie. Ce sont les communautés qui financent leurs propres centres d’art et décident de la manière dont leur travail est présenté et vendu. Il y a donc une forme de souveraineté dans leur rapport à la diffusion de leurs œuvres. Dans ces centres, les artistes aborigènes sont en contact constant avec le monde extérieur. Ils voyagent, participent à des résidences, assistent à des vernissages. En Australie, j’ai croisé un artiste que j’avais rencontré à Paris lorsqu’il était en résidence à la Cité internationale des arts. Contrairement à une certaine idée reçue, l’univers de ces artistes n’est pas du tout refermé sur lui-même. Au contraire, il y a une vraie volonté d’ouverture, d’échange, d’utiliser la peinture comme un médium pour dialoguer avec d’autres artistes, d’autres cultures.

Quel est aujourd’hui l’enjeu principal de la Fondation Opale ?

Sortir du regard ethnographique. L’art aborigène contemporain n’a rien à voir avec ces objets que l’on peut trouver dans les musées d’anthropologie. Ce sont deux réalités complètement distinctes. Nous nous inscrivons dans une dynamique purement artistique. Nous collaborons avec des institutions majeures comme le Centre Pompidou, échangeons avec la Fondation Cartier, sommes en contact avec la Tate Modern [à Londres] et avons rencontré il y a peu l’équipe de la Biennale de Lyon. Nous accompagnerons également un artiste aborigène émergent à la prochaine Biennale de Sydney. Il viendra ensuite travailler à la Fondation Opale. Nous avons déjà accueilli des artistes à Lens, mais de manière ponctuelle. Nous souhaitons désormais mettre en œuvre un système de résidence, ce qui implique de réfléchir face à quelle réalité européenne ces artistes seront placés.

Fondation OpaleMusées et institutionsSamuel GrossSuisseArt aborigène
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