Lovée dans l’écrin du Grand Palais, la 28e édition de Paris Photo semble hors d’atteinte de la conjoncture actuelle. Bien qu’il soit encore trop tôt pour dresser un état des ventes, les allées ne désemplissaient pas lors du vernissage ce mercredi 12 novembre, et plusieurs galeries se réjouissaient déjà de belles transactions. Avec près d’un tiers de nouvelles participations, la foire est chargée d’une énergie particulière.
Cette année, les visiteurs sont accueillis par une longue frise de 36 mètres, imaginée par la galerie Poggi, qui réunit plusieurs séries de Sophie Ristelhueber dans un saisissant mélange de tirages de tous formats. Grande figure de l’histoire de la photographie, qui a ouvert une brèche entre le documentaire et le champ de l’art, la Française a cette année été récompensée par le prestigieux prix Hasselblad. Photographe du réel, elle incarne une approche plus traditionnelle du médium, à rebours d’un marché cherchant sans cesse à dépasser les limites de la représentation. Si de nombreux stands présentent de belles propositions relevant d’une photographie plus classique, la foire montre cette année à quel point l’image tend à se défaire de sa matérialité.

Guy Tillim, Quelimane, 2007-2025, tirage pigmentaire sur papier baryté, peinture acrylique, 17,5 x 25,5 cm. Galerie Stevenson. © Guy Tillim
Pour Anna Planas, directrice artistique de la foire depuis 2022, la photographie contemporaine a atteint une liberté nouvelle ces dernières années : « On sent un décloisonnement très intéressant aujourd’hui. La photographie explore sans entrave le dialogue avec d’autres médiums, tout en expérimentant avec sa propre nature. Il y a quelque chose de très libérateur », confie-t-elle.Elle souligne que cela vaut désormais aussi pour des figures plus historiques, comme le Sud-Africain Guy Tillim, connu pour son travail documentaire, qui présente pour la première fois une sélection d’images peintes sur le stand de la galerie Stevenson.
Dans l’exposition du secteur Voices consacrée à l’intime et confiée à Nadine Wietlisbach, directrice du Fotomuseum Winterthur, la galerie Higher Picture dévoile un travail récent de Justine Kurland, où la photographe américaine revisite ses collages de SCUMB Manifesto à travers la peinture à l’huile. À quelques pas, dans l’autre exposition de ce secteur, intitulée « Paysages » et pensée par l’historienne Devika Singh, la galerie londonienne Ab-Anbar célèbre la porosité des disciplines à travers des œuvres d’Hessam Samavatian : des céramiques recouvertes d’une émulsion photosensible dont l’exposition à la lumière crée des nuances cendrées variant d’une pièce à l’autre.

Justine Kurland, Two Mac Apples and Garlic Clove, 2025, huile sur collage photographique. Galerie Higher Pictures. Courtesy of the artist and Higher Pictures
Le secteur Émergence illustre aussi comment l’hybridité du médium peut devenir une stratégie pour les jeunes galeries. Beaucoup misent sur la notion d’unicité propre à des approches expérimentales ou un retour à des techniques plus anciennes. Si les collectionneurs qui se sont spécialisés en photographie ne sont pas perturbés par l’idée d’une multiplicité de tirages, d’autres privilégient l’œuvre unique, singulière, au statut d’objet. Sur le stand de la galerie bruxelloise Hangar, Sylvie Bonnot soulève la couche de gélatine de ses tirages pour l’appliquer à d’autres supports, créant un relief étonnant, presque sculptural. À la galerie néerlandaise Homecoming, Mia Weiner modifie numériquement ses portraits de femmes avant de les tisser dans de grandes compositions, où chaque fil devient l’équivalent d’un pixel. L’artiste américaine s’interroge sur la manière de sortir de l’espace photographique traditionnel et la façon dont le numérique peut redevenir physique.

Hedda Roman, Test Time 5, 2025, tirage sur papier Ilford Cotton Rag lisse, tissu de coton peint, 98 × 136,5 cm. Düsseldorf and Photography. © Hedda Roman, Courtesy the artist
Cette matérialité s’observe jusque dans le secteur Digital, créé il y a trois ans pour explorer les différents potentiels de l’image à l’ère numérique. Chez le duo Hedda Roman présenté par la Ville de Düsseldorf, l’usage de l’intelligence artificielle s’intègre à des œuvres poétiques, mêlant peinture et textile. Pour la commissaire de ce secteur, Nina Roehrs, si l’on parlait jusqu’ici d’argentique, puis de numérique, aujourd’hui s’impose une photographie synthétique, libérée de l’objectif et qui s’inscrit, non pas en rupture, mais dans la continuité de l’évolution de l’image. Reste à savoir comment cette prochaine étape du décloisonnement de la photographie se pérennisera sur le marché…
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Paris Photo, jusqu’au 16 novembre 2025, Grand Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris.
