Abonnements
Rechercher
ePaper
Newsletter
Profile
Abonnements
ePaper
Newsletter
L'actualité des galeries
L'éditorial de la semaine
Expositions
Marché de l'art
Musées et institutions
Politique culturelle
Livres
LE MENSUEL
L'actualité des galeries
L'éditorial de la semaine
Expositions
Marché de l'art
Musées et institutions
Politique culturelle
Livres
LE MENSUEL
Rechercher
Expositions
Critique

Quand l'art dénonce les dégâts anthropiques

À Bruxelles, deux expositions témoignent de l’engagement d’artistes de renommée internationale face à la surexploitation des ressources de notre planète – Alfredo Jaar – et la déforestation de l’Amazonie – Sebastião Salgado.

Bernard Marcelis
16 octobre 2025
Partagez
Vue de l’exposition « La Fin du Monde : Alfredo Jaar », La Patinoire Royale Bach, Bruxelles, 2025. © Photo Alfredo Jaar

Vue de l’exposition « La Fin du Monde : Alfredo Jaar », La Patinoire Royale Bach, Bruxelles, 2025. © Photo Alfredo Jaar

L’un, Alfredo Jaar, né au Chili en 1956, vit à New York ; l’autre, Sebastião Salgado, né au Brésil en 1944, s’était établi à Paris, où il est décédé le 23 mai 2025. Qu’ils soient tous les deux d’origine sud-américaine n’est sans doute pas un hasard dans leur combat pour sensibiliser le monde, dont ils s’estiment citoyens. Leur engagement pour mettre leurs contemporains en garde constitue une entreprise au long cours. Tous deux se sont donné les moyens de refuser toute anecdote dans leur art, allant au plus profond de leurs sujets avec des dispositifs différents, mais qui n’ont qu’un seul but : toucher intellectuellement et émotionnellement le visiteur, afin qu’il puisse se rendre compte, par l’expérience d’une installation immersive, de la situation problématique dans laquelle se trouve notre planète à la suite de sa surexploitation anthropique.

Si les modes opératoires de leurs expositions à la scénographie étudiée sont distincts, l’objectif est identique : établir physiquement des rapports d’échelles spectaculaires permettant de faire prendre conscience d’une réalité certes connue, mais perçue de façon quelque peu distante. Ici, le public est plongé dans un environnement dont il ne peut faire abstraction.

« La fin du monde » d'Alfredo Jaar

Plasticien, architecte et cinéaste, Alfredo Jaar réalise des installations à entrées multiples avec lesquelles il interroge autant les codes de la représentation et leur mise en œuvre spatiale que les questions sociales et politiques, sous un angle conceptuel qui ne renie pas le spectaculaire.

À la Galerie La Patinoire Royale Bach, son exposition intitulée « La Fin du Monde » résulte de cinq années de recherche avec le géographe et géologue politique canadien Adam Bobbette. Ce travail porte sur les matériaux dits « critiques », à savoir les minéraux stratégiques issus de l’industrie extractive à l’échelle mondiale. Ce sont les ressources naturelles devenues indispensables au bon fonctionnement de nos outils technologiques quotidiens, des smartphones aux ordinateurs, sans oublier les futurs besoins en batteries amenés à répondre à l’accroissement programmé du parc de voitures électriques.

La question pour l’artiste consiste à trouver un dispositif performant et convaincant pour retenir l’attention du visiteur sans la détourner ni la distraire par des faux semblants. Pour ce faire, il prend le parti d’une rupture d’échelle à plusieurs niveaux. Il donne d’abord à lire des textes consacrés aux dix métaux précieux analysés (le cobalt, le coltan, le cuivre, l’étain, le germanium, le lithium, le manganèse, le nickel, le platine et les terres rares), lesquels sont affichés côte à côte sur des panneaux de plusieurs mètres de haut, délimitant une sorte de narthex précédant la nef principale ; celle-ci, nappée d’une lumière rouge, contient en son centre l’inestimable trésor : un minuscule carré de quatre centimètres de côté composé de minces échantillons des dix métaux précieux.

« J’essaie de condenser la complexité de cette planète qui s’effondre en quelque chose de concret », explique Alfredo Jaar. Comme dans une cathédrale, ce trésor infime impose le silence et une forme de recueillement. La rupture d’échelle est totale entre le lieu et l’objet, entre l’infiniment grand et le minuscule, protégé par sa vitrine-colonne. Face à cela, l’être humain apparaît tel un intrus, inconscient des dangers qu’il fait courir à la terre en l’exploitant de la sorte, que ce soit dans des pays lointains ou limitrophes, ou que cela fasse l’objet de l’actualité. Ces terres rares sont en effet à l’origine des vues du président états-unien Donald Trump sur le Groenland. C’est aussi sur elles que portent, plus sournoisement, les « négociations » autour de certains territoires ukrainiens.

Alfredo Jaar souligne que le titre de son exposition « est une provocation très directe qui vise à susciter la réflexion, le dialogue et une prise de conscience sur ce que nous pouvons faire dès maintenant, alors que nous sommes au bord d’un basculement qui transformera radicalement la vie des générations à venir. C’est aussi le reflet du triste état de notre planète et de son écologie ».

« Amazonia » de Sebastião Salgado

Le changement d’ambiance est radical avec l’exposition « Amazônia » de Sebastião Salgado à Tour & Taxis. Si la densité et la saturation des images ont remplacé le vide voulu par Alfredo Jaar, le dispositif mis en scène est tout autant maîtrisé. Comme l’explique l’épouse du photographe, Lélia Wanick Salgado, également commissaire de l’événement : « Une exposition photographique est le décor d’une idée, une scénographie qui défend un point de vue. Lors de la conception de celle-ci, nous avons souhaité créer un environnement dans lequel le visiteur se sente à l’intérieur de la forêt, en immersion dans son exubérante végétation et dans la vie quotidienne des populations locales. » Le public déambule en effet dans un labyrinthe d’images en noir et blanc, accrochées à des hauteurs variées. Cet espace ouvert bénéficie d’une création musicale inédite, composée par Jean-Michel Jarre à partir des sons concrets de la forêt amazonienne : cris d’animaux, vacarme des chutes d’eau, bruissement des arbres...

« Ces images sont un témoignage de ce qui existe encore avant que davantage ne disparaissent. Je montre non pas la partie détruite de l’Amazonie, mais la richesse qu’elle recèle toujours », expliquait Sebastião Salgado lors de l’inauguration de l’exposition, début avril 2025, la dernière à laquelle il a participé de son vivant. Le photographe brésilien était depuis longtemps sensible à la spécificité de la forêt amazonienne (elle représente 63% du territoire de son pays) et à son rôle crucial dans le système écologique mondial. La parfaite connaissance qu’il en avait lui faisait dire que « la plus grande menace, ce n’est pas le réchauffement climatique, mais la perte de la biodiversité. Celle-ci est mise en danger par les cultures intensives qui nécessitent le déboisement des arbres géants pour se développer, mettant ainsi en péril le système d’évaporation à l’échelle planétaire. » « La forêt amazonienne est le seul endroit au monde où le système d’humidité de l’air ne dépend pas de l’évaporation des océans, rappelait-il. Chaque arbre fonctionne tel un aérateur dispensant des centaines de litres d’eau par jour dans l’atmosphère, créant des rivières aériennes encore plus volumineuses que le fleuve Amazone. » Ses images de rivières flottantes ou de pluies torrentielles sur la forêt tropicale démontrent superbement la force de la nature.

L’engagement de l’artiste s’est pérennisé par la fondation en 1998, avec son épouse Leila, de l’ONG Instituto Terra, laquelle dispose d’un statut similaire à celui d’un parc national. Près de trois millions d’arbres y ont déjà été plantés. Dans cette petite partie de la forêt tropicale reconstituée, de nombreux animaux ont retrouvé leur habitat naturel.

-

« La Fin du Monde : Alfredo Jaar », du 4 septembre au 23 décembre 2025, Galerie La Patinoire Royale Bach, rue Veydt, 15, 1060 Bruxelles, prvbgallery.com

« Amazônia », du 4 avril au 11 novembre 2025, Tour & Taxis, Shed 4 bis, rue Picard, 5-7, 1000 Bruxelles, expo-amazonia.com

ExpositionsArt et écologieAlfredo JaarGalerie La Patinoire Royale BachTour & TaxisSebastião SalgadoBruxelles
Partagez
Abonnez-vous à la Newsletter
Informations
À propos du groupe The Art Newspaper
Contacts
Politique de confidentialité
Publications affiliées
Cookies
Publicité
Suivez-nous
Facebook
Instagram
Twitter
LinkedIn
Ce contenu est soumis à droit d'auteurs et copyrights