Née à Lyon en 1875, Valentine de Saint-Point est graveuse, peintre et auteure de poèmes, de romans, de pièces de théâtre et de La Métachorie – essai de fusion des arts performé sur la scène du Metropolitan Opera, à New York, en 1917. Figure du Tout-Paris avant la Première Guerre mondiale, elle tombe peu à peu dans l’oubli. Pourtant, son œuvre engagée, en faveur de la puissance des femmes puis d’un Orient libéré du joug colonial, mérite d’être lu. Cette anthologie de ses textes permet aujourd’hui de le redécouvrir.
« L’HUMANITÉ EST MÉDIOCRE »
Issue, par sa mère, de la noblesse jurassienne et descendante d’Alphonse de Lamartine (elle tire son pseudonyme du nom du château qu’il possédait en Saône-et-Loire), Valentine de Saint-Point fait paraître ses premiers textes à l’orée des années 1900. Elle réunit autour d’elle des personnalités aussi variées que Rachilde, Alphonse Mucha, Auguste Rodin, Paul Fort, Natalie Clifford Barney ou encore Maurice Ravel, fidèle à une certaine tradition salonnière.
Au début des années 1910, elle se rapproche des futuristes sans être dupe de la misogynie de Filippo Tommaso Marinetti et de ses amis, qui lui inspire en 1912 « Manifeste de la femme futuriste », son écrit le plus célèbre. Ce dernier s’ouvre sur un constat cinglant : « L’humanité est médiocre. La majorité des femmes n’est ni supérieure ni inférieure à la majorité des hommes. Toutes deux sont égales. Toutes deux méritent le même mépris*1. » Cette posture aristocratique est aussi la sienne lorsqu’elle dénigre les mouvements féministes de son temps ou rêve d’un collège des élites « travaillant à l’édification d’un esprit méditerranéen transnational [pour] rétablir un ordre spirituel et politique dans la débâcle matérialiste de l’Occident*2 ».
Sa conversion à l’islam et son installation au Caire en 1924 (où elle mourra en 1953) l’encouragent à soutenir une « renaissance orientale ». À l’heure où les avant-gardes s’intéressent aux arts non occidentaux, Valentine de Saint-Point condamne le primitivisme dont elles font preuve autant que les effets culturels de la colonisation: « Tous les chefs-d’œuvre de l’art et de la pensée, qui sont d’ailleurs, [l’Occident] les préfère en ruines ou stérilisés; car l’Occident a une mentalité de nécrophore, et sa science prétentieuse, érige plus facilement son orgueil sur des civilisations détruites qu’il calomnie dans ses 155 académies et dont il pille les monuments pour en faire les joyaux de ses musées et de ses bibliothèques : ces tombes du passé, sur quoi se dresse la médiocrité vaniteuse des modernes*3. »
Un regret, toutefois, à la lecture de cette anthologie : qu’au sein de l’appareil critique ne soient pas davantage analysés dans le contexte social, artistique et intellectuel des années 1900-1920, la virilité, la sexualité ou l’orientalisme, notions centrales de l’œuvre de Valentine de Saint-Point.
*1 « Manifeste de la femme futuriste », p. 39.
*2 Claire Tencin, « Valentine de Saint-Point, la virilité féminine », p. 139.
*3 « La faillite de la civilisation occidentale », p. 155-156.
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Valentine de Saint-Point, L’Ardeur et la conquête, édité par Claire Tencin et Alexandra Destais, Paris, Éditions ardemment, 2025, 208 pages, 18 euros.
