Gaëlle Hippolyte et Lina Hentgen ont bien joué leur coup. Pour leur exposition monographique à la Villa du Parc, à Annemasse, les deux artistes, plus connues sous le nom de Hippolyte Hentgen, ont bouté les cimaises hors de la bâtisse. D’abord, sur sa façade Est, qu’elles ont métamorphosée, au pistolet et par aplat, en un immense muralintitulé Friselis, aux couleurs pastel acidulées avec motifs de crans ou de hachures et un clin d’œil – c’est précisément le mot ! – à Francis Picabia. On reconnaît le globe oculaire tiré de sa toile L’Œil cacodylate, ici démultiplié sur un bandeau. Ensuite, en affichant en grand sur la vitre de la véranda-entrée, avec des lettres autocollantes, le titre de leur présentation : « Chambre à deux lits », titre drôle et suffisamment énigmatique pour que, lors de notre passage, un quidam vienne s’enquérir auprès du personnel du centre d’art si ce dernier était devenu un… hôtel ! Bref, outre cette « appétissante » façade tout de rose et de vert pistache vêtue, le duo est intervenu dans l’ensemble des deux niveaux d’exposition de cette ancienne maison bourgeoise du XIXe siècle, soit 250 m2. On y trouve une large palette d’œuvres récentes et nouvelles, à travers une multiplicité de médiums – dessin, collage, sculpture, décor, film. Le visiteur peut d’ailleurs admirer avec quelle aisance elles s’emparent de chacun d’eux pour édifier une œuvre protéiforme.
Gaëlle Hippolyte et Lina Hentgen puisent leur inspiration aussi bien dans l’histoire de l’art – comme avec Picabia – que dans la culture populaire, sinon pop, s’appropriant, par exemple, les codes de la bande dessinée ou du dessin de presse pour livrer une production aux intonations multiples (naïve, abstraite, burlesque, etc.). Y sourd une réelle appétence pour les clichés sociaux et culturels et autres images iconiques inscrites dans la mémoire collective, qu’elles s’emploient à railler avec force joie et ironie.
En témoigne, comme en préambule, la présentation logée dans la première grande salle du rez-de-chaussée. Habillée d’une peinture murale également conçue in situ, celle-ci arbore une suite de collages, Nuée, qui jouent avec légèreté et humour avec les codes de la féminité véhiculés par les magazines. En regard, des œuvres intitulées Heurtoirs consistent, en réalité, en des assemblages de chutes de papiers et d’images imprimées, rebuts d’autres travaux, maintenus par ce traditionnel accessoire en forme de main que l’on trouve sur les portes d’entrée. Preuve s’il en est de la volonté du duo d’habiter littéralement le lieu.

Hippolyte Hentgen, Veluto (peinture murale), Patterns (pastels) et Tribu (sculpture), vue de l’exposition « Chambre à deux lits » à la Villa du Parc - centre d’art contemporain, 2025. Photo Aurélien Mole
La sculpture est également explorée, sous deux états différents : l’un solide, comme ces pièces de verre façon totems, faites d’un empilement d’éléments hétéroclites, Tribu ; l’autre complètement mou, tel Bikini invisible, « sculptures molles » rappelant celles de Claes Oldenburg, fragments de corps, vêtements et accessoires quasi en deux dimensions, comme s’ils venaient de s’échapper de la feuille de dessin pour tenter l’aventure de la 3D. D’ailleurs, sans quelques tringles et portants, ils n’y arriveraient sans doute pas. Dans la véranda, mais aussi à l’intérieur de la demeure, sont accrochés de splendides pochoirs, Les Résistantes, mêlant corps féminins, feuillages et objets divers. Les artistes osent des « autoportraits » de leurs deux corps dans leur totalité, réalisés à la manière des cyanotypes que Susan Weil et Robert Rauschenberg produisaient jadis au Black Mountain College (États-Unis).
À l’étage, une vaste peinture murale, Veluto, géométrique à souhait, sert de toile de fond notamment à cette nouvelle série de pastels de grand format, Patterns, qui reprennent des détails de tableaux italiens du Quattrocento ou de la Renaissance cadrés tels les écrans d’un téléphone portable, dans lesquels la matérialité des étoffes le dispute à l’abstraction. L’effet est bluffant.
Dans une salle entière, de nouveaux collages sous la forme de « scannogrammes » (assemblages d’images et d’objets réalisés manuellement directement sur la vitre du scanner, NDLR) répondent à une série de poèmes en prose, Fabules (petite zoologie portative)/Supplémentaires, écrits par l’ancien directeur de musées Christian Bernard, lesquels croquent des animaux réels ou fabuleux, tels le canari et le coyote, la licorne et le centaure.
Sur un mur, le film Les Italiens projette un staccato d’images en tous genres – fonds d’atelier, images personnelles, etc. –, mixées et montées à vive allure, avec, en voix off, celle de l’écrivain et performer Anne-James Chaton lisant un extrait de son livre Populations, en l’occurrence : une litanie de clichés obsolètes et autres citations convenues ou absurdes sur nos voisins transalpins. Hilarant !
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« Chambre à deux lits », jusqu’au 21 décembre 2025, Villa du Parc, 12 rue de Genève, 74100 Annemasse.
