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Benoît Piéron choisit la grande touffe d’herbes d’Albrecht Dürer

L’artiste parisien délivre, à travers la description de cette œuvre iconique, sa relation intime à ce morceau singulier de paysage ainsi que son rapport à la vie.

Marc Donnadieu
6 juin 2025
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Benoît Piéron. Photo Nanténé Traoré

Benoît Piéron. Photo Nanténé Traoré

L'objet de...

Chaque mois, dans le mensuel The Art Newspaper édition française, des personnalités nous présentent un objet qui leur est cher et nous dévoilent leur relation intime et particulière à cette œuvre d'art.

Benoît Piéron, dont le « Ministère des passe-temps » est installé au Grand Café, à Saint-Nazaire, tout ce mois de mai, offre en partage son œuvre de prédilection Das Große Rasenstück (La Grande Touffe d’herbes) d’Albrecht Dürer, une encre, gouache et aquarelle sur papier que ce dernier réalisa dans son nouvel atelier de Nuremberg (Allemagne), en 1503, à l’âge de 24 ans, et qui est précieusement conservée à l’Albertina, à Vienne (Autriche).

Au premier coup d’œil, ce dessin de 41 centimètres de largeur sur 31,50 centimètres de hauteur donne l’impression d’un morceau de nature un peu chaotique saisi au hasard d’un chemin. Mais la précision de la composition et le raffinement de l’exécution laissent plutôt penser à une étude effectuée en atelier, vraisemblablement à partir de spécimens copiés séparément, ainsi que le suggère le fond laissé en blanc sur lequel se détache chaque plante.

Chacune est d’ailleurs retranscrite avec un tel degré de réalisme, depuis la pointe, ou la fleur, jusqu’aux racines dans le jus du sol, que l’on peut aujourd’hui très rigoureusement les identifier : le dactyle, l’agrostide stolonifère, le pâturin des prés, la pâquerette, le pissenlit, la véronique petit-chêne, le grand plantain, la langue de chien et l’achillée millefeuille. À partir de ces données, Benoît Piéron a pu ainsi reconstituer La Grande Touffe d’herbes avec précision, à plusieurs occasions, et nous livre son analyse de cette œuvre iconique.

« Observer, éprouver, participer à la résilience du végétal est particulièrement réconfortant, rassurant, parce qu’elle est différente de la nôtre. »

Albrecht Dürer, Das Große Rasenstück (La Grande Touffe d’herbes), 1503, encre, gouache et aquarelle sur papier, Albertina, Vienne, Autriche. Courtesy de l’Albertina Museum

« Des portraits sans visée naturaliste »

« Je ne m’explique pas ma fascination pour [Albrecht] Dürer, amorce Benoît Piéron. Lorsque j’ai réalisé mon exposition au Mumok [Museum moderner Kunst, à Vienne, en Autriche], je suis allé voir l’original de La Grande Touffe d’herbes à l’Albertina Museum. Au départ, ce n’était qu’une carte postale que je possédais enfant. Puis, je l’ai placée à côté de ma table de chevet quand j’étais en rémission de mon cancer du rein. De là, je suis passé à une jardinière, en perspective de mon lit. Mais ce qui m’intéresse, c’est qu’il s’agit de portraits de plantes sans véritable visée naturaliste. Gérard-Guy Aymonin en a précisément détaillé et herborisé toutes les espèces. »

« On sait depuis qu’elles n’ont en réalité pas cette taille, et que certaines tiges ont été recoupées et réagencées par Albrecht Dürer, afin que toutes les plantes puissent entrer dans le cadre de sa composition. D’une certaine manière, il en a fait des bonsaïs ! » s’amuse-t-il, avant de poursuivre : « De même, elles ne peuvent vivre au même endroit : quelques-unes sont alpestres, d’autres non [le peintre a réalisé l’œuvre de retour d’Italie]. D’un côté, c’est la recomposition d’un bord de chemin qui traite chaque plante selon son individualité, son importance, son histoire, de l’autre, c’est une vision de la touffe comme un seul ensemble où chaque brin d’herbe en vaut un autre. Là, c’est la vitalité qui importe. » « C’est comme le temps, c’est comme la vie, tout y devient impossible à quantifier. Ça n’est qu’une semence en poudre ! » résume l’artiste.

Aussi, à écouter Benoît Piéron, ne peut-on s’empêcher d’entendre là une métaphore du statut des malades à l’hôpital, d’une part, pris comme un ensemble inséparable de patients et, d’autre part, comme des individus avec des histoires spécifiques. « La Grande Touffe d’herbes, c’est moi, c’est nous », aurait-il pu ainsi déclarer !

« Grâce aux travaux de Gérard-Guy Aymonin, depuis cette carte postale, depuis mon lit, j’ai pu entrer à l’intérieur de cette Grande Touffe d’herbes, reprend-t-il. Pendant deux ans, j’en ai cherché toutes les graines afin de la reconstituer. Ce qui, pour certaines, a été compliqué, car ce sont des plantes ancestrales qui ont peu d’intérêt aujourd’hui pour l’agroéconomie – quoique l’agrostide stolonifère soit toujours utilisée pour stabiliser les dévers d’autoroute ou les parcours de golf ! » « J’ai commencé à m’intéresser à cette œuvre lorsque l’on m’a proposé une exposition, juste avant que j’apprenne mon cancer. Elle était à l’échelle des mouvements que j’étais capable de faire durant ce moment de rémission : s’offrir au végétal en arrosant, en prenant soin, en regardant les herbes pousser. Mais, après en avoir semé chaque graine, la cohabitation des plantes dans la jardinière a été difficile, puisque ces espèces n’existent pas pour être ensemble, pour faire ensemble ! » précise l’artiste. Et d’ajouter : « Je voulais également changer la lumière du lieu d’exposition qui avait des soupiraux donnant sur la rue, lesquels avaient été incendiés. Tous les murs étaient noirs ; or, je désirais apporter une lumière verte au niveau du sol, inverser les choses. Une forme de rayon vert. »

Un autre cycle de vie

Benoît Piéron va plus loin : « À une amie collectionneuse qui a développé un cancer après notre rencontre et qui est venue me voir à Lens [lieu de résidence d’artistes de la Pinault Collection] me demandant : “Lorsque tu es malade, en format jardinière ou paysage, lorsque tu ne peux pas bouger, ou plus de la même manière, où peut être la source du plaisir esthétique ?” J’ai répondu : “Dans le déplacement des ombres projetées sur le plafond, particulièrement s’il y a des arbres. Ça te connecte tout de suite, du point de vue neurologique, au plaisir esthétique.” » « La nuit est comme une salle d’attente où tout peut émerger. C’est comme le frissonnement de l’herbe lorsque tu lui apportes de l’eau et qu’elle peut la digérer, au moment du crépuscule, dans ce passage à l’ombre après qu’elle s’est gorgée de soleil et qu’elle peut boire. Il y a cette même matérialité dans La Grande Touffe d’herbes », analyse l’artiste. « Pour la revue Jardins, fondée par Marco Martella, Giuseppe Penone, dans son texte sur l’entrée dans la forêt, souligne que l’on se connecte à un autre cycle de vie lorsque l’on met les pieds dans un sous-bois et que l’on entend le craquement des brindilles, rapporte Benoît Piéron. Observer, éprouver, participer à la résilience du végétal est particulièrement réconfortant, rassurant, parce qu’elle est différente de la nôtre. Dans le végétal, il y a une non-binarité entre la vie et la mort. Si l’on coupe une branche, avant même la cicatrisation, éventuellement une nouvelle branche, ou une fleur, repoussera. » Puis de conclure : « Avec une jardinière et ses émotions, on peut contribuer à un cycle de vie. On peut la semer, attendre de voir pousser les plantes et les fleurs, avoir un rapport aux pollinisateurs, à la photosynthèse, à la lumière, au soleil... C’est un rapport presque clinique avec le vivant, même si c’est un dialogue un tout petit peu plus compliqué. »

L'objet deEntretienBenoît PiéronAlbrecht Dürer
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