Un séjour prolongé à Rome, à la Villa Médicis, a offert à Marion Grébert le « paysage » pour écrire son deuxième livre, ce « point » où, si l’on sait y demeurer, « le monde vient à soi ». Depuis ce lieu où elle a pu observer les fleurs sauvages pousser au fil des mois, sans qu’elles soient systématiquement arrachées ou rasées, elle a entamé son grand « tour » personnel, d’Ostie à Padoue en passant par Bologne et Assise, à la recherche de leurs homologues, dont la présence, dans les fresques et les peintures de l’Antiquité à la Renaissance, passe le plus souvent inaperçue. L’ouvrage suit les différentes étapes de son voyage et les rencontres qui l’émaillent avec des œuvres, pour la plupart connues, qu’elle invite à regarder en marge des hiérarchies régissant par convention le figuré et influant sur ce que l’on est à même de percevoir.
Rhizome et ramifications
« Que se passe-t-il dans la vie du regard dès lors qu’on décide de devenir attentif à un motif, une forme, un objet qui sont délaissés, ignorés, méprisés ? » interroge-t-elle, décidant donc de s’attacher à ce qui est, sans que son existence suscite pour autant l’intérêt, mettant au jour le travail « par omission » du regard et donnant à sentir « la vie hésitante de l’œil ». À chaque occurrence qu’elle relève et décrit, avec autant de précision que de style, mais aussi d’émotion, elle associe des faisceaux de mises en relation et de ramifications : à partir des textes antiques et bibliques, de la poésie de Pier Paolo Pasolini ou de la prose de Robert Walser, des analyses de Walter Benjamin sur l’image et l’histoire, des recherches sur les pollens de la paléontologue Arlette Leroi-Gourhan, de la Naturphilosophie, des connaissances en botanique et des herbiers de prison ou encore de la sémiologie de Roland Barthes.
Ce faisant, il ne s’agit pas tant pour l’auteure d’assigner un sens définitif à ces fleurs ainsi cueillies que de rendre raison de leur présence, laquelle résulte si ce n’est d’une intention, du moins d’un geste. En leur portant attention, elle enrichit et affine la compréhension de l’espace pictural, du rapport entre intérieur et extérieur, et apporte de nouveaux éclairages sur le temps qu’elles y font exister, entre présence et absence, souvenir et oubli, dans la durée de leur retour cyclique et la brièveté de leur existence propre. Avec elles, en effet, il s’agit pour l’artiste de « peindre ce que donne le jour » – au présent du retour quotidien : rien moins que la lumière qui fait sentir le monde et la vie dans ce qu’elle a de plus fragile et de plus permanent.
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Marion Grébert, Pourquoi les fleurs. Un autre voyage en Italie, Strasbourg, L’Atelier contemporain, 2025, 352 pages, 25 euros.