En ouverture de son nouveau livre, Oser le nu, Camille Morineau s’interroge : « Est-il vrai que la représentation d’un nu par une femme a été tabou pendant des siècles ? [...] Si ces nus signés par des femmes ont été produits, [...] nous nous sommes punis à l’avance de pouvoir les penser. » Et d’ajouter : « Je voudrais mettre en lumière dans cet ouvrage ce qui me semble être la ruse la plus pernicieuse de l’histoire de l’art, de l’histoire et de l’anthropologie : le “vol” du nu signé par les artistes femmes. Alors qu’elles l’ont osé. » En une dizaine de chapitres pour la plupart chronologiques, l’auteure retrace l’histoire de corps peints, sculptés, photographiés ou mis en scène par des femmes. Face à la multiplication des exemples au cours du XXe siècle, elle adopte ensuite une lecture thématique pour traiter des approches noire, LGBTQ+ ou encore féministe.
Au-delà des marges
Dans un texte accessible, de manière frappante, Camille Morineau prend le contrepied, tant sur le fond que sur la méthode, de Linda Nochlin, grande figure de l’histoire de l’art féministe. En effet, cette dernière, dès les années 1970, a procédé à une critique structurelle du monde de l’art, les femmes ayant été écartées, pour la majorité d’entre elles, des circuits dominants de reconnaissance (académies royales, salons officiels et enfin, au XXe siècle, marché, manuels et revues, sans oublier musées). Ainsi, dans le domaine de l’étude du nu, Linda Nochlin a démontré que les interdits pesant sur les femmes étaient organisés de manière systémique. Elle concluait à une formation de moindre qualité pour les femmes, contraintes pour beaucoup d’entre elles de se cantonner à des sujets mineurs composés de façon plus rudimentaire.
L’approche de Camille Morineau est diamétralement opposée. En remontant au Moyen Âge et à la figure de Hildegarde de Bingen, avant d’analyser les périodes moderne (jusqu’au siècle des Lumières) et contemporaine, elle s’appuie sur une succession d’exemples particuliers – certains très célèbres, comme ceux d’Artemisia Gentileschi et d’Élisabeth Vigée Le Brun, d’autres, méconnus, comme celui de Giulia Lama, peintre vénitienne du début du XVIIIe siècle – pour révéler une pratique continue du genre par de nombreuses artistes depuis la Renaissance. De sorte que le nu aurait été effacé non seulement du récit de l’histoire de l’art tel qu’il s’est écrit depuis près d’un siècle, mais aussi de sa relecture féministe. Enfin, Camille Morineau s’attache à examiner les multiples réinventions du genre, en rupture avec le regard souvent réifiant posé par les artistes hommes sur le corps des femmes – telles celles d’Alice Neel, Faith Ringgold ou Hannah Wilke.
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Camille Morineau, Oser le nu. Le nu représenté par les artistes femmes du XVIe au XXe siècle, Paris, Flammarion, 240 pages, 39 euros.