Pour la première fois de son histoire, la Biennale de Venise honorera à titre posthume, à l’occasion de sa 61e édition (du 9 mai au 22 novembre 2026), la mémoire de sa commissaire. Koyo Kouoh, directrice du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (MOCAA), au Cap, en Afrique du Sud, et première femme africaine choisie pour orchestrer la prestigieuse manifestation, a été emportée par un cancer le 10 mai dernier, à l’âge de 57 ans.
Lors de la présentation à la Ca’Giustinian, siège de la Biennale à Venise, initialement prévue le 20 mai en présence de Koyo Kouoh, les commissaires invités à ses côtés – Gabe Beckhurst Feijoo, Marie Hélène Pereira, Rasha Salti, Siddhartha Mitter, ainsi que son assistant Rory Tsapayi – lui ont rendu un vibrant hommage, s’inscrivant dans la stricte fidélité aux principes définis de concert avant sa disparition, citant tour à tour James Baldwin, Édouard Glissant, Patrick Chamoiseau et Toni Morrison.
« Avec le soutien total de la famille de Koyo Kouoh, La Biennale di Venezia a décidé de réaliser son exposition en suivant le projet tel qu’elle l’a conçu et défini, dans le but de préserver, de valoriser et de diffuser largement ses idées et le travail qu’elle a poursuivi avec tant de dévouement jusqu’à la fin, ont déclaré les organisateurs. Entre la mi-octobre 2024 et le début du mois de mai 2025, Koyo Kouoh a travaillé intensément à l’élaboration du projet curatorial, définissant son cadre théorique, sélectionnant les artistes et les œuvres d’art, désignant les auteurs du catalogue, déterminant l’identité graphique de l’exposition et l’architecture des espaces d’exposition, et établissant un dialogue avec les artistes invités à participer. »
Intitulée « In Minor Keys », la 61e Exposition internationale d’art sera produite par La Biennale di Venezia, avec la contribution de l’équipe choisie par la commissaire. Dans un texte synthétisant sa vision curatoriale, daté du 8 avril dernier, Koyo Kouoh écrit : « La tonalité mineure, en musique, fait allusion à la fois à la structure d’une chanson et à ses effets émotionnels. […] Les tonalités mineures refusent la grandiloquence orchestrale et les marches militaires et s’animent dans les tonalités calmes, les fréquences basses, les bourdonnements, les consolations de la poésie, tous les portails de l’improvisation vers l’ailleurs et l’autrement. […] Ce sont aussi les petites îles, les mondes au milieu des océans avec des écosystèmes distincts et infiniment riches, des vies sociales qui s’articulent, pour le meilleur et pour le pire, dans des formes politiques et des enjeux écologiques beaucoup plus vastes. […] Ce sont les indices d’une exposition qui invite à écouter les signaux persistants de la terre et de la vie, à se connecter aux fréquences de l’âme. Si, en musique, les tonalités mineures sont souvent associées à l’étrangeté, à la mélancolie et à la tristesse, ici se manifestent également la joie, le réconfort, l’espoir et la transcendance. »
La commissaire poursuit : « La 61e édition de la Biennale d’art est fondée sur la conviction profonde que les artistes sont les interprètes vitaux de la condition sociale et psychique et les catalyseurs de nouvelles relations et possibilités. La composition de l’exposition est formée par des pratiques artistiques qui ouvrent des portails, qui rafraîchissent et nourrissent, qui incitent à la relation et au rapport, qui font avancer le concept et la forme à travers des réseaux et des écoles – compris librement et de manière informelle. L’effet recherché brouille la cohésion et la dissonance à la manière d’un ensemble de free-jazz, ou peut-être, à l’échelle de la Biennale d’art, d’un festival d’ensembles ayant un postulat commun : que la poétique libère et que les gens créent de la beauté ensemble. »
Et de conclure : « Dans cet esprit, l’Exposition internationale de la 61e Biennale d’art ne se veut ni une litanie de commentaires sur les événements mondiaux, ni une inattention ou une fuite face aux crises qui s’additionnent et s’entrecroisent en permanence. Elle propose plutôt une reconnexion radicale avec l’habitat naturel de l’art et son rôle dans la société : l’émotionnel, le visuel, le sensoriel, l’affectif, le subjectif. "In Minor Keys" est constituée de séquences de voyages exaltants qui s’adressent au sensoriel et à l’affectif, invitant les visiteurs à s’émerveiller, à méditer, à rêver, à se délecter, à réfléchir et à communier dans des domaines où le temps n’est pas la propriété d’une entreprise ni à la merci d’une productivité implacablement accélérée. […] La "mission civilisatrice" écrase tout avec un mépris condescendant. Dans le monde contemporain, des sociétés entières et des écosystèmes sont traités comme de simples dommages collatéraux dans une quête effrénée de croissance, menée avec brutalité et avidité. En refusant le spectacle de l’horreur, il est temps d’écouter les tonalités mineures, de prêter l’oreille — sotto voce — aux murmures, aux fréquences basses ; de chercher les oasis, les îles, où la dignité de tous les êtres vivants est encore protégée. […] L’exposition se présente comme une partition collective composée avec des artistes qui ont construit des univers imaginaires. Des artistes qui travaillent aux frontières de la forme et dont les pratiques peuvent être considérées comme des mélodies complexes à écouter à la fois collectivement et individuellement. Des artistes dont les pratiques s’inscrivent dans la société. […] Des artistes qui sont extrêmement généreux et accueillants envers la vie. »
Tous les détails du projet – y compris la liste des artistes invités à l’Exposition internationale, l’identité graphique, la conception du parcours et la liste des pays participants – seront annoncés lors de la prochaine présentation à Venise, le 25 février 2026.
Enfin, Pietrangelo Buttafuoco, président de la Biennale, a annoncé le début d’une nouvelle collaboration avec la maison de haute joaillerie Bvlgari qui sera le partenaire exclusif de l’Exposition internationale d’art pendant les trois prochaines éditions, jusqu’en 2030.