Après 80 ans d’existence, la Marlborough Gallery, l’une des principales galeries d’art d’après-guerre au monde, a annoncé le 4 avril 2024 la fermeture de ses espaces de New York, Londres, Madrid et Barcelone. Cette décision fait suite à une période de turbulences au sein de la direction de l’enseigne.
Dès le mois de juin, la galerie ne proposera plus d’expositions et ne représentera plus d’artistes ni de successions. La société emploie actuellement 52 personnes dans le monde ; certains membres de l’équipe resteront en poste pour veiller au retour des prêts et à la vente du stock, mais la plupart des salariés risquent d’être licenciés.
Le fonds de la société, constitué au fil des décennies, est estimé à plus de 15 000 œuvres et, selon les spécialistes, à environ 250 millions de dollars. Il sera vendu au cours des mois et des années à venir, une partie des recettes étant reversée à des institutions à but non lucratif qui soutiennent les artistes, selon un communiqué officiel.
La Marlborough Gallery a été fondée à Londres en 1946 par Frank Lloyd, un immigrant juif, en partenariat avec Harry Fischer, un marchand de livres rares autrichien expatrié. Les deux associés s’étaient rencontrés dans l’armée britannique. Ils ont été rejoints par David Somerset, qui est devenu plus tard duc de Beaufort. Grâce aux contacts de Lloyd, la galerie s’est rapidement fait un nom en représentant nombre des plus importants artistes britanniques de l’après-guerre, dont Francis Bacon, Henry Moore, Lucian Freud, Frank Auerbach et Barbara Hepworth. En 1963, la galerie a ouvert un espace à New York, où elle a accueilli les œuvres d’expressionnistes abstraits tels que Richard Diebenkorn, Robert Motherwell, David Smith et Clyfford Still, ainsi que les successions notamment de Franz Kline, Jackson Pollock et Ad Reinhardt.
Ces dernières années, la galerie a connu des problèmes de gouvernance ainsi que des difficultés financières, bien que la rentabilité ne semble pas être un problème majeur. En juin 2020, il avait été annoncé l’arrêt des activités de la galerie à New York en raison d’une querelle familiale. Celle-ci opposait Gilbert Lloyd, le fils de Frank Lloyd (qui avait anglicisé son nom originel, Levai), au neveu de Frank, Pierre Levai, qui a dirigé la galerie de New York pendant plusieurs décennies, et à son fils, Max Levai, qui a succédé à son père en 2019, avant d’être évincé de la présidence en 2020. Les deux parties ont saisi la justice. Ces procédures ont révélé que l’entreprise auvait perdu 18,7 millions de dollars entre 2013 et 2019.
Les documents judiciaires ont également montré que le conseil d’administration de la galerie avait mis son veto à d’ambitieux projets d’expansion prévoyant l’achat de l’ancien bâtiment hébergeant la galerie Cheim & Reid, situé juste à côté, à New York. Le nouvel espace devait ouvrir à l’automne 2020 dans le cadre d’une initiative de repositionnement de la galerie.
Marlborough a confirmé que les litiges avaient été réglés à la satisfaction de toutes les parties et que l’espace existant à New York était resté ouvert. Selon un porte-parole de la galerie, les problèmes familiaux « ont été résolus » et n’ont « rien à voir avec la décision de fermer l’entreprise ». La principale raison de cette cessation des activités, ajoute le porte-parole, est qu'« il n’est pas possible pour un conseil d’administration extérieur de gérer une galerie, une entreprise qui repose sur des relations personnelles avec les artistes ». Aucun héritier de Frank Lloyd n’est actuellement employé à la Marlborough Gallery.
Selon les chiffres du registre du commerce britannique publiés le 5 janvier 2024, le chiffre d’affaires de la galerie londonienne a chuté de 35 % en 2022, passant de 11,7 millions de livres à 7,7 millions de livres, tandis que le bénéfice brut a chuté de 24 % à la suite du départ de trois directeurs en mai 2022 et d’un « artiste majeur sous contrat ». Il s’agit probablement Paula Rego qui a quitté la galerie pour Victoria Miro en octobre 2020. La galerie « a continué à subir des pertes au cours de l’année 2023 », indiquent les comptes.
Les trois directeurs qui ont quitté la galerie sont Frankie Rossi, Geoffrey Parton et John Erle-Drax, tandis que Mary Miller a démissionné en août 2022. Les documents déposés au registre du commerce indiquaient que la société était, à ce moment-là, « confrontée à une incertitude significative concernant la propriété future de la galerie ».
Au moment de la publication de l’audit, la galerie londonienne possédait des actifs d’environ 7 millions de livres sterling, dont 5,2 millions de livres sterling de stock et 1,8 million de livres sterling de liquidités. La société mère de la galerie, la Marlborough International Fine Art Company, basée aux Bahamas, a prêté à la société londonienne un total de 1,5 million de livres en 2023. Au cours de cette période, révèlent les comptes, la société mère a également « entamé des pourparlers concernant une cession potentielle des actifs de la société et de son activité sous-jacente », bien qu’aucun accord n’ait été conclu au moment où les comptes ont été déposés en décembre 2023. Marlborough International Fine Art Company appartient à un groupe de trusts établi dans le Dakota du Sud et géré par Hermes Trust Company, une société de trusts privée basée à Sioux Falls, dans le Dakota du Sud.
Une autre entité du groupe de trusts, Scandia Holding Establishment, est propriétaire des locaux de la galerie sur Albermarle Street à Londres, qu’elle loue actuellement à la Marlborough Gallery pour 582 000 livres sterling par an, selon les documents déposés au registre du commerce. Ce bail court jusqu’en 2028. La galerie (ou sa société mère) est propriétaire des immeubles de Chelsea à New York et de Madrid, ainsi que d’entrepôts en Espagne et à New York. Tous les bâtiments seront vendus en temps voulu ; la galerie a refusé de donner un chiffre pour leur estimation globale.