Avec « Craving for Southern Light », Otobong Nkanga signe à l’IVAM à Valence, en Espagne, l’une de ses interventions les plus importantes à ce jour, après celles du Museum of Contemporary Art de Chicago en 2018, et du Kunsthaus Bregenz en Autriche en 2021-2022. « C’est l’une des plus grandes expositions de l’artiste en Europe, et la première en Espagne », souligne Nuria Enguita, directrice de l’Instituto Valenciano de Arte Moderno (IVAM), à Valence, première grande institution d’art contemporain à voir le jour en Espagne avant même le Centro de Arte Reina Sofia à Madrid.
Née en 1974 au Nigeria, la plasticienne vit et travaille à Anvers, en Belgique. Celle qui préfère se dire « artiste nomade » développe un travail engagé, qui emprunte des champs d’expression multiples. On ne peut l’enfermer dans une case. C’est à la fois ce qui perturbe et séduit dans son œuvre !
L’exposition s’ouvre avec une sélection de dessins provenant de collections privées ou de celle de l’artiste, présentés dans des vitrines. D’emblée y est posée la question du corps et de la performance, l’une des pratiques de l’artiste à ses débuts. Ces dessins d’humains rappellent la présence au monde, la connexion avec la terre, mais aussi les mouvements du bras. Ces anatomies évoquent « deux mondes différents, la violence faite aux corps par des dirigeants politiques grâce à des outils, des machines », explique l’artiste. Une série se concentre sur l’enfance, la sexualité ou encore la place de la mère, représentée, non sans humour, en pieuvre aux nombreux membres, telle une divinité omnipotente.
Dans la même salle, sur une grande tapisserie, une constellation évoque la pensée de l’artiste pour qui tout est connecté : l’humain, les parcours individuels, le changement climatique et ses effets dévastateurs. Ce travail sur les constellations avait été fort remarqué lors de sa participation à la Documenta 14 dans son volet d’Athènes, en 2017. Dans cette tapisserie, des effets brillants frappent, mais aussi l’incorporation singulière de photos. Cet usage étonnant renouvelle le médium de la tapisserie ! Cette dernière « permet de tisser des histoires entre elles. La photo aide à représenter des réalités, combinant ainsi l’image réelle et l’imagination », confie l’artiste.
Dans la plus grande salle, l’artiste a conçu une installation spéciale, adaptée au site. Elle s’est emparée de l’espace jusqu’au mur dans un lent et intense mouvement d’appropriation des lieux, un travail de gestation qui s’est prolongé jusqu’aux derniers instants avant l’ouverture de l’exposition. Sur les murs courent des bandes en dégradé de gris qu’elle a choisi elle-même, qui cède ensuite la place à l’orange. Impossible de ne pas comprendre le sens de ce qui s’apparente à un thermomètre qui rappelle la température qui monte toujours plus.
L’une des grandes problématiques de l’artiste ? Le sud et son devenir. « Comment le sud peut-il trouver une lumière dans ce monde rempli de problèmes, où tout est interconnecté ? », observe la directrice de l’IVAM. Alors que la pluie et les orages sont devenus imprévisibles, le dérèglement climatique mondial n’en finit pas d’avoir des incidences terribles dans cet hémisphère sud surchauffé, soumis à de violents contrastes météorologiques.
Toujours dans cette salle, l’artiste a créé des installations de cordes et de céramique avec un atelier local, évoquant la connectivité des êtres et des actes humains. Elle convoque aussi des plantes et des graines endémiques d’Afrique, les ressources naturelles des pays non occidentaux, le rôle des énergies naturelles comme le gaz ou le pétrole, objets de tant d’enjeux mondiaux mais aussi les effets négatifs de leur exploitation… Tout est dit avec subtilité, jamais frontalement. Engagée, conceptuelle, « Otobong Nkanga aime le processus de performance et aussi de transformation par l’art », souligne la directrice, qui la situe proche d’artistes comme Joseph Kosuth ou Ana Mendieta. Plusieurs de ses pièces renvoient aussi par leur forme même en rhizome à la vie humaine et à la chaîne ADN.
À la fin du parcours, une couche de sable recouvre le sol, mais elle ne confine en rien à une plage paradisiaque. Noir, il renvoie aux mines de Namibie… Sur des tapisseries, le mica étincelle. « C’est le caractère brillant de l’empire britannique qui a colonisé une centaine de pays. Le mica et les minéraux brillent dans la lumière et s’éteignent quand il n’y a plus de lumière », précise l’artiste. C’est aussi, plus largement, une allusion en filigrane aux pillages des ressources naturelles, des pierres, de l’or, par le colonialisme, en particulier en Afrique… Et d’évoquer « les vagues des empires et leur déclin, les périodes de turbulences et de changement ». Otobong Nkanga dresse alors un parallèle entre les tourments du climat et ceux survenus dans les empires. Les changements climatiques bouleversant les empires et leurs économies, à l’image des inondations ou jadis de la peste… entraînant parfois leur chute. « L’artiste est là pour réfléchir au monde et le voir avec d’autres perspectives, y compris sociales, politiques ou économiques », résume Nuria Enguita.
Otobong Nkanga, qui a remporté en octobre 2023 le Nasher Prize for Sculpture, n’a pas fini d’ouvrir des perspectives, avec de nombreux projets à venir. Représentée désormais par Lisson Gallery (Londres) et In Situ – fabienne leclerc à Romainville, en France, elle bénéficiera, selon nos informations, d’une place importante au sein de la collection permanente présentée dans l’extension de la Fondation Beyeler à Riehen (Bâle), qui devrait ouvrir à l’horizon 2025-2026 sous la houlette de l’architecte Peter Zumthor, également auteur… du Kunsthaus Bregenz.
« Otobong Nkanga. Craving for Southern Light », jusqu'au 7 janvier 2024, IVAM, Valence, Espagne.