Dandy nanti avant de connaître l’infamie d’une geôle – une opération immobilière ayant mal tourné –, l’architecte français Fernand Pouillon (1912-1986) est indéniablement une personnalité hors norme. Et ces controverses auxquelles il fut mêlé ont souvent masqué la réalité d’une œuvre exceptionnelle par sa consistance et sa singularité. Avec le recul du temps – et la dissipation des polémiques –, celle-ci est aujourd’hui réinterrogée, a fortiori à l’aune de problématiques contemporaines, tel son intérêt pour l’architecture et les principes vernaculaires, pour les matériaux naturels et locaux – à présent qualifiés de « durables » –, enfin, pour la manière d’habiter.
UN NOUVEL ÉCLAIRAGE
C’est ce qu’ont souhaité aborder les auteurs – dont le Suisse Pierre Frey, historien de l’architecture disparu en octobre 2023 – du livre intitulé Fernand Pouillon, le téméraire éclectique et publié aux éditions Actes Sud. Ils se sont penchés principalement sur ses réalisations postérieures à la Seconde Guerre mondiale; trois décennies – entre 1953 et 1984 – durant lesquelles il occupa, d’une manière ou d’une autre, la scène architecturale, avec un acmé lors de la 2e Biennale d’architecture de Venise, en 1982. Outre une recherche approfondie dans les archives, ce nouvel éclairage sur l’œuvre de Fernand Pouillon s’enrichit d’un travail d’enquête mené sur le terrain avec, à la clé, quelques « informations inédites ».
Ce livre est d’abord un pied de nez aux traditionnelles publications d’architecture dans lesquelles la photographie prime sur les dessins, voire parfois sur l’œuvre elle-même, comme le fustigeait déjà Fernand Pouillon en 1972 dans son ouvrage Les Baux de Provence. D’où l’omniprésence, dans ce nouvel opus, d’une multitude de croquis et de plans : ceux de Fernand Pouillon bien sûr, mais aussi ceux de Bernard Gachet, architecte et dessinateur suisse, lequel est allé à la fois sur les pas du « maître » pour retranscrire à l’encre quantité de ses réalisations ainsi qu’à la rencontre d’autres architectures – le Parthénon à Athènes, la mosquée de Mimar Sinan à Edirne, en Turquie, la Cité radieuse de Le Corbusier à Rezé-lès-Nantes, en Loire-Atlantique, etc. – qui l’ont inspiré ou illustrent son discours.
Une chose est certaine : pour Fernand Pouillon, un maître d’œuvre est autant un penseur qu’un bâtisseur. Comme l’écrit Pierre Frey : « Peu d’architectes se sont exprimés aussi abondamment sur ce point, qui plus est avec l’intention explicite de hisser leurs propos au statut d’une théorie. » On se souvient de son splendide roman historique Les Pierres sauvages, sur l’édification en Provence, au XIIe siècle, de l’abbaye du Thoronet – un chapitre décortique d’ailleurs la genèse de l’écrit.
L’ouvrage présente non seulement des projets en France – comme le lotissement de La Brèche-aux-Loups, à Ozoir-la-Ferrière (Seine-et-Marne), où vécut le dessinateur de presse Cabu qui croque une double page hilarante sur une réunion de copropriété – et en Algérie – avec les grands ensembles algérois, dont les 5000 logements de la cité Climat de France (1954-1957) –, mais fait l’effort louable de les replacer dans le contexte historique dans lequel ils s’inscrivent : la reconstruction de l’après-guerre, la décolonisation, voire la crise de la modernité architecturale.
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Pierre Frey, Bernard Gachet, Louiza Issad et Mohamed Larbi Merhoum, Fernand Pouillon, le téméraire éclectique, Arles, Actes Sud, 2023, 368 pages, 42,90 euros.