À un vol d’oiseau des arènes de cette « petite Rome » qu’est Arles, et dans une petite rue pavée qui porte le nom de « Calade », se niche l’hôtel Bouchaud de Bussy (en référence à un conseiller du roi au siège d’Arles). C’est d’une rencontre décisive entre deux familles passionnées par l’histoire du costume arlésien – les Costa et les Pascal – qu’est né ce projet de créer dans cette élégante bâtisse de style classique un musée entièrement dédié à cette expression culturelle qui a façonné depuis des siècles l’identité de la ville et de ses habitants.
« Mes deux sœurs et moi avons hérité de notre mère, Hélène Costa, une véritable passion pour les pièces textiles et les bijoux anciens. Après son décès, en 2007, nous avons souhaité poursuivre son œuvre en créant, grâce à l’apport inestimable de la collection constituée par Magali Pascal (décédée en 2017) et sa fille Odile, toutes deux historiennes profondément engagées dans la préservation du costume provençal, un musée né de cette passion partagée par nos deux familles », résume Françoise Costa, qui préside avec ses deux sœurs, Agnès et Anne, aux destinées de la maison de parfumerie Fragonard.
À peine franchie une majestueuse porte en bois, le visiteur est happé par la métamorphose de ce vaste hôtel particulier qui fut, au fil des siècles, une demeure patricienne, une maternité, puis un banal hôtel de tourisme ! Il a fallu tout l’expertise scientifique de Nathalie d’Artigues, architecte du patrimoine à la tête de l’agence NDA, et l’intervention respectueuse et créatrice tout à la fois du duo Karl Fournier et Olivier Marty – les fondateurs du Studio KO à qui l’on doit, entre autres, le musée Yves Saint Laurent de Marrakech – pour nimber d’une aura poétique les collections rassemblées par les deux familles.
Délester l’édifice de ses ajouts les plus récents – faux plafonds, cloisons, gaines techniques, ascenseur en béton défigurant la cour – s’est d’emblée imposé comme une priorité. À l’instar d’une campagne archéologique, les différentes strates de l’hôtel Bouchaud de Bussy ont ainsi retrouvé la lumière, tels ces plafonds à la française, ces fenêtres à croisée ou ces décors à lambrequins.
Il n’était pas question pour autant d’enfermer le musée et ses collections textiles dans une approche passéiste ou historicisante. En témoigne ce nouvel escalier en béton épousant la forme d’une spirale, véritable prouesse technique en même temps que signature des deux architectes. « Éviter l’écueil du pastiche, tout en révélant l’âme du lieu », tel est, selon ses propres mots, le périlleux exercice d’équilibrisme auquel s’est livré le tandem du Studio KO.

Escalier conçu par le Studio KO pour le musée de la Mode et du Costume d’Arles. © François Deladerrière
Un soin tout particulier a ainsi été accordé à la fluidité des espaces, ainsi qu’au choix des couleurs et des matériaux. Accueilli par l’escalier monumental du XVIIIe siècle admirablement restauré et un moulage de la célèbre Vénus d’Arles – statue découverte en 1651 non loin du théâtre antique et qu’affectionnait tant Louis XIV qu’il en confia la restauration au sculpteur Girardon et l’installa dans la galerie des Glaces ! –, le visiteur passe peu à peu de la chaude lumière de la pierre d’Arles pour glisser lentement vers des bruns plus profonds, avant d’accéder au « noir manganèse » des salles d’exposition, qui fait écho au noir intense du costume arlésien. Soit une façon habile de préserver également de la lumière ces pièces textiles d’une extrême fragilité…
L’autre grande réussite de ce parcours, intimiste et spectaculaire tout à la fois, réside dans son exposition inaugurale baptisée sobrement « Collections-Collection » par Clément Trouche, le directeur du musée. Après avoir admiré ce cabinet de curiosités sur lequel veillent ces portraits d’Arlésiennes à la beauté antique, le parcours s’achève en effet en apothéose par la quarantaine de silhouettes qui ressuscitent le raffinement et la folle inventivité de ces « fashion victimes » avant l’heure, qui faisaient et font toujours l’orgueil de leur cité !
Clément Trouche décrit dans le moindre détail l’évolution de ces châles ou de ces coiffes retenues par un ruban (élément essentiel du costume arlésien produit en quantité industrielle par les manufactures stéphanoises !), le symbolisme de ces bijoux (dont ce gros jonc torsadé appelé « Coulas » à laquelle on suspendait une médaille en or ou émaillée), mais aussi l’origine de ces motifs exotiques empruntés à des cultures lointaines. « À Arles, carrefour commercial à proximité de la foire de Beaucaire et du port de Marseille, les coquettes pouvaient accéder les premières aux textiles venus d’Inde, du Levant, et plus largement de tout l’Orient », explique ainsi Clément Trouche devant une sublime robe d’intérieur imitant les châles du Cachemire.
Aux antipodes d’une approche folkloriste, l’art contemporain participe également au renouvellement du discours, comme en témoigne cette commande passée au photographe Charles Fréger. Tel un ballet chorégraphié en ombres chinoises, neuf Arlésiennes s’adonnent savamment à l’art de la coiffure et de l’habillage, pérennisant ainsi sous les yeux des visiteurs ces gestes ancestraux, transmis de génération en génération…
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Musée de la Mode et du Costume, 16 rue de la Calade, 13200 Arles
