L’Art dans la vie! rassemble une centaine d’écrits (articles de presse, conférences, cours, lettres, introductions de catalogue, etc.), sou- vent inédits en français, retraçant une part encore mal connue de l’histoire du constructivisme soviétique. Classés en sections thématiques et dotés d’un indispensable appareil critique, ils sont signés, entre autres, Ossip Brik, Naum Gabo, El Lissitzky, Alexandre Rodtchenko ou Varvara Stepanova.
Construction vs représentation
En octobre 1917, de nombreux artistes adhèrent à la révolution menée par Lénine qui, après le renversement du tsar au mois de février précédent, accède au pouvoir. L’ordre socialiste transforme en profondeur la Russie et ses institutions. Il provoque notamment une réforme fondamentale de la création et de sa place dans la société. La critique radicale de l’art, soumis au goût bourgeois et à son économie – l’art étant devenu au XIXe siècle une marchandise comme une autre –, conduit à une mutation des formes, de leurs enjeux plastiques et de leurs conditions de production. Dès lors, sous l’influence des recherches de Vladimir Tatline, du suprématisme et du futurisme, artistes et théoriciens défendent la construction contre la représentation. Ancré dans la vie quotidienne, l’art se métamorphose en « travail artistique » et l’œuvre, en « objet », ainsi que le résume dans son introduction la chercheuse Valérie Pozner, laquelle dirige l’ouvrage.
Quatre principales organisations structurent le constructivisme : le Proletkult (1917), qui promeut au sein de nombreux clubs et ateliers l’émergence d’une culture prolétarienne ; la Section des arts, dotée, peu après sa fondation en 1918, d’un périodique, L’Art de la commune ; l’Institut de la culture artistique (1920), qui s’impose « comme un important foyer intellectuel » (Valérie Pozner) ; et, enfin, la revue Création (1920), émanation du groupe dit « d’Extrême-Orient ». Toutes encouragent la publication de livres, de recueils ou de brochures qui démontrent la vitalité du mouvement, par-delà certaines dissensions dont témoigne la présente anthologie.
Cette communauté de pensée permettra à la plupart de ses acteurs de se réunir à partir de 1922-1923 au sein du Front gauche de l’art avec pour idéal une création utile ainsi que le rejet du passé, du collectionnisme et de l’héroïsation de la figure de l’artiste. Grâce à leurs échanges, les multiples développements du constructivisme dans les domaines du design, du graphisme, du costume, de l’architecture ou du théâtre prospèrent au cours de la décennie avant que le mouvement ne soit dissous par le pouvoir dans les années 1930.
Valérie Pozner (dir.), L’Art dans la vie ! Le constructivisme soviétique dans les textes, Paris, Centre Pompidou et Dijon, Les presses du réel, 2024, 744 pages, 49 euros.