Annette Messager : Laisser-aller
Un grand mur de figures noires suspendues au rez-de-chaussée, un grand arrangement de dessins sur deux murs à angle droit au sous-sol. Entre ces deux œuvres, d’autres dessins, sculptures, et au bout du parcours, un spectacle animé pour salle obscure. « Laisser-aller », la nouvelle exposition d’Annette Messager, offre une véritable dramaturgie.
Dans la salle du haut sont rassemblés sous un filet sept peintures en noir et blanc sur papier, l’une d’elles portant le mot « iconic » : Einstein tirant la langue, Marylin sur sa bouche de métro, Charlot, le Che, le premier homme sur la lune. Surmontant l’arrangement, la petite fille au napalm ou plutôt le fantôme de cette image, comme faite de mémoire. Iconic, portrait d’une génération et clé d’une œuvre.
En même temps, déjà évoquée, est une composition murale étendue sur plus de 7 mètres avec des dizaines de figures, objets symboles en papier d’aluminium noirci, et cinq longs dessins verticaux. Tout à la fois grigris et pictogrammes, ces formes suspendues font avec les dessins sensuels et macabres un grand texte qui rit de lui-même.
Dans la salle du bas, outre quelque 77 dessins à l’acrylique qui peignent le crâne dans toutes sortes de rôles et d’états avec une joie visible, on trouve une brillante relecture de l’iconographie chrétienne. Deux œuvres sont accrochées en diptyque, chacune d’elles composée de six carrés de tissus figurant les faces d’un dé. Les carrés sont disposés en croix et sur l’une d’elles, se trouve un squelette qui, de quatre points noirs, se fait un visage. Sur l’autre, figurent les Instruments de la Passion enrichis d’un couteau suisse en papier d’aluminium. Les dés des soldats romains et ceux de Mallarmé, un double héritage avec lequel Annette Messager sait jouer de ses démons.
Du 8 mars au 11 mai 2024, Marian Goodman, 79 rue du Temple, 75003 Paris
Shannon Cartier Lucy : Silver Bells and Cockle Shells
Dans Mary, Mary, Quite Contrary, une très ancienne comptine, il est question de « Silver Bells and Cockle Shells ». Cockle Shells, tableau de Shannon Cartier Lucy, montre une figure assise en robe victorienne, cadrée à hauteur du buste, bras croisés, qui tient dans chacune de ses mains gantées un bénitier entrouvert. Des clochettes qui ne sont pas d’argent, on les trouve aux chevilles d’une adolescente en Reebok. On n’en voit à peine plus d’elle. L’artiste pratique la mise en scène et le cadrage avec un art consommé de l’intrigue et un sens du détail frappant. Chacun des tableaux s’offre comme une entrée par effraction dans un récit en cours. La réunion de ces œuvres fait comme une longue séquence où se mêlent des histoires d’enfance, des jeux de soumission, de violence plus ou moins ouverte.
S’il est un cinéaste auquel on pense, c’est à Buñuel, celui de Belle de jour en particulier, devant ces expressions de fantasmes masculins un peu datées ou ces mains d’homme qui paraissent contraindre ceux d’une Married Woman. Buñuel, aussi, parce qu’un tableau cite directement la pénultième scène du Charme discret de la bourgeoisie (Dinner Party), la main qui sort de sous la table pour attraper à manger. Shannon Cartier Lucy sait instiller le trouble dans les scènes de genre. Dylan and a Lamb serait un parfait chromo, n’était la veste de smoking blanc qui sert de voile à l’adolescent qui porte un agneau et les bracelets en or à son poignet. Comme une corruption par le chic.
Du 7 mars au 24 avril 2024, Galerie Hussenot, 5 bis rue des Haudriettes, 75003 Paris
Daniel Dezeuze : Mesoamerica, Cités Perdues et Derniers Refuges
Il y a beau temps que Daniel Dezeuze a délaissé l’analyse et le démontage du tableau pour donner à son art un tour ethnographique. Le tableau n’a jamais tout à fait disparu, mais à partir de lui se sont greffées des histoires et des rencontres avec, par exemple, le monde des cueilleurs ou celui des braconniers. Preuve est donnée de cette persistance du tableau avec la présentation en ouverture d’un ensemble de boucliers, faits de châssis en baguette souple et de treillages bariolés avec parfois quelques ornements de faux luxe. Leur fait suite une véritable salle d’armes où trois des murs sont couverts de petits pistolets ou arbalètes miniatures faits de pièces de bois et de métal récupérés. Au centre de cette salle, une table de négociations où devant chacune des quatre chaises est posé un petit canon en lieu et place d’argumentaire. Derrière un aspect de rétro avant-garde, la table signifie bien une façon de se mettre à l’écoute d’autres pratiques manuelles, et de se placer en complicité vis-à-vis d’elles.
Un ensemble de pièces nouvelles vient en évocation d’un voyage de jeunesse au Mexique déterminant dans la carrière de l’artiste. Ce sont des reliefs faits de quelques tasseaux, crémaillères et chutes diverses de bois peints souvent dans des tons vifs. Éclats de mémoires qui évoquent avec une concision extrême architectures ou motifs décoratifs.
Au sous-sol est présentée une série de dessins de fleurs, papillons, chenilles où Giverny rencontre la Chine. Dessiner comme on s’efface pour s’approcher d’un mouvement d’ailes ou d’une reptation. Cette phrase qu’on remarque : « persistance du Tao ».
Du 2 mars au 27 avril 2024, Templon, 28 rue du Grenier-Saint-Lazare, 75003 Paris
Mark Dion : Investigations, Inquiries and a Few Good Jokes
Penser/Classer, ce titre donné à un recueil d’essais de Georges Perec, conviendrait fort bien à Mark Dion dont les œuvres sont nourries de références aux Wunderkammer (cabinet de curiosité). Sur trois niveaux sont présentées des œuvres de différentes époques, c’est-à-dire différentes collections de choses et des planches anatomiques d’animaux auxquels sont rapportés des noms propres, des concepts, des faits, a priori sans liens directs. The Age of Enligthment rattache aux différentes parties d’un squelette d’autruche les éléments d’une chronologie qui commence avec la naissance de Francis Bacon (1561) et s’achève avec le premier usage du chlore dans la purification de l’eau en 1800.
Mark Dion éclaire le présent par le passé (ce très long âge des Lumières), faisant apparaître les liens entre l’histoire des idées, le développement industriel et les catastrophes écologiques. Field Work IV (2007) présente sous une longue tente différentes choses collectées dans les filtres de trois centrales électriques sur la Tamise. Cette archéologie du présent, on la retrouve à l’œuvre dans Sea Life (2011) où des jouets en plastique sont présentés dans des bocaux comme des merveilles naturelles. Oubliant un peu l’humour, The Canary (2023) montre le volatile taxidermisé sur un lit de goudron dans une cage ; rappel symbolique de son rôle autrefois dans les mines.
Plus inattendue, une vitrine, fruit d’une intervention dans une prison à Murcia, en Espagne, rassemble des couteaux et outils fabriqués par les prisonniers et confisqués par les gardiens. L’artiste-collectionneur Dion peut se confronter à bien des situations.
Du 3 mars au 13 avril 2024, In Situ fabienne leclerc, 43 rue de la Commune, 93230 Romainville