En 2014, Muriel Pic a publié Mescaline 55 aux Éditions Claire Paulhan, recueil des différents écrits auxquels ont donné lieu les trois premières expériences d’absorption du psychotrope faites en janvier 1955 par Henri Michaux, alors accompagné d’Édith Boissonnas et de Jean Paulhan. Les Leçons de possession prolongent cette recherche en s’appuyant sur l’analyse, passionnante, de l’ensemble des notes prises sous drogue par le poète entre 1955 et 1966, notes qu’il a choisi de conserver et qui n’ont pas cessé de nourrir son œuvre poétique. Les sept chapitres formant l’ouvrage sont présentés comme des leçons, au sens que la psychiatrie donne à ce terme, puisque « grâce aux archives, indique l’auteure, nous avons devant les yeux le fou et le professeur [Henri] Michaux, méthodiquement exposé par lui-même aux possessions » et dont elle examine, elle-même chercheuse et écrivaine, les motivations tant scientifiques que poétiques.
DES EXPÉRIENCES PSYCHIQUES ET POÉTIQUES
Si les expérimentations qu’il mène sont renseignées, encadrées – par la diversité des substances auxquelles il se soumet, par la précision des dosages, de la temporalité et de l’observation de leurs effets, par les circuits par lesquels il se les procure, par des médecins parfois –, c’est qu’elles ont eu lieu durant une période de test, entre la commercialisation des premiers neuroleptiques au début des années 1950, la naissance de la pharmacologie et le classement des agents psychotropes. Ainsi le Henri Michaux que dépeint Muriel Pic est-il un « témoin-acteur de la révolution psychopharmacologique », entre Paris et Bâle, entre la clinique des maladies mentales et de l’encéphale de l’hôpital Sainte-Anne, le Muséum d’histoire naturelle et les laboratoires pharmaceutiques allemands et suisses, en particulier Sandoz.
Dans ce paysage, très précisément reconstitué par l’auteure, le poète se conçoit comme « un cobaye doué du pouvoir d’écrire », à un point qui étonne même les praticiens qui le suivent. Et s’il cherche, par la prise de psychotropes, l’empathie totale avec les patients, la « connaissance par osmose » ou par possession, c’est pour mieux explorer les limites de l’écriture, dans l’intériorité des sensations, l’altérité, la pluralité des voix, l’imagination tactile, pour se « défaire du style » et « trouver le rythme » et ainsi investir cette page blanche qui servait d’invitation à son exposition à la librairie-galerie La Hune, à Paris, en 1956, « Description d’un trouble » : dans la perte donc et avec précision, parmi d’autres ressorts si attentivement mis au jour par Muriel Pic.
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Muriel Pic, Leçons de possession. Les archives de la drogue d’Henri Michaux, Paris, Éditions Macula, 2025, 240 pages, 35 euros.
