Daniel Turner : Mercury Release
Mercury Release est la quatrième version d’une action que Daniel Turner a exécutée pour la première fois en 2009. Il s’agit de détacher quelques tubes fluorescents du plafond du centre d’art ou de la galerie et de les laisser choir sur le sol, avec pour effet de libérer la vapeur de mercure qui s’y trouve. La sculpture éphémère est constituée des nombreux éclats répandus au sol. Dans cette version de 2025, deux des tubes sur les six formant l’éclairage ont été sacrifiés et une boîte couverte de tissu gris a été fabriquée pour recueillir deux des fixations. La longueur de la boîte semble avoir été déterminée par la longueur des informations (nom de l’artiste, titre, matériaux) indiquées sur une seule ligne. Cette action occupe une place à part dans l’œuvre de Daniel Turner, elle revêt pour lui une importance particulière, et laisse assez largement ouverte la question de son interprétation. Interrogé sur une éventuelle filiation avec Michael Asher et la façon dont celui-ci a pu faire du lieu d’exposition le sujet de l’œuvre, l’artiste répond : « le défi dans mon propre travail a été de trouver une voie vers une composition qui non seulement traite de la structure de l’espace d’exposition mais s’étend également au-delà de la critique institutionnelle vers une constellation de hasard ». De fait, si, de façon générale, le travail de Daniel Turner se traduit par une transformation d’objets significatifs d’un lieu (hôpital psychiatrique, prison, etc…) en œuvres minimalistes, qui en gardent la mémoire comme une forme d’énergie, avec Mercury Release, il se déplace vers d’autres histoires et généalogies. Dans cette sollicitation du hasard et l’allusion à l’alchimie, on peut penser à Marcel Duchamp, alors que la sculpture par dispersion évoque les projections de plomb de Richard Serra. C’est une œuvre en deux temps au moins, celui du lâcher et celui de l’exposition. Sa temporalité est d’importance égale à sa matérialité. La chute annoncée des quatre tubes à la fin de l’exposition en sera comme la coda.
Du 26 avril 2025 au 7 juin 2025, Galerie Allen, 6 passage Sainte-Avoye, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Will Benedict : Hello Greedy Citizens » à la
Galerie Balice Hertling, Paris. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Balice Hertling
Will Benedict : Hello Greedy Citizens
Will Benedict a choisi pour le communiqué de presse de « Hello Greedy Citizens » de reprendre le texte qu’il avait écrit pour une précédente exposition à Bruxelles. Les œuvres sont nouvelles, explique-t-il en préambule, mais ce sont toujours les mêmes thèmes et les mêmes questions éternelles, qu’il s’agisse de forme, de morale ou de politique. C’est un beau texte, d’une colère contenue, qui partant de la légende des suicides par défenestration à New York au moment de la Grande Dépression de 1929, enchaîne sur les réécritures de l’histoire et évoque le fascisme, la cupidité et l’apartheid. L’exposition est constituée de tableaux et de montages photographiques, avec comme seul exemple de vidéo un bref extrait de la deuxième saison de The Restaurant, série co-réalisée avec Steffen Jørgensen.
On retrouve dans ces nouvelles d’œuvres les hybridations d’images, des couchers de soleil d’inspiration nordique d’après des images probablement trouvées sur Internet, et des éléphants croisés à l’architecture avec l’aide d’un algorithme. On retrouve aussi ces maries-louises peintes à l’intérieur de la toile avec des taches très picturales ramenées à un rôle ornemental. Tout en exécutant des morceaux de peinture, parfois virtuoses, l’artiste n’oublie pas la façon dont la peinture se vend et s’accroche. Un exemple, particulièrement savoureux, est cette abstraction à motif d’agate sur fond rouge au milieu d’un cadre en peau de dalmatien.
Deux tableaux en imposent par leur format et le fait qu’ils ressemblent à ces images 3D que l’on regarde avec des lunettes spéciales. L’un reproduit la forme dédoublée d’un piano de concert vu de haut, avec aux quatre coins des lettres qui pourraient former le mot « Dead » et, de l’autre, un gigantesque œuf au plat dont le jaune est fendu par un couteau à viande et libère une forte coulure. Allusions à Violin Tuned D.E.A.D de Bruce Nauman et au Chien Andalou de Luis Buñuel ? Ou vision sarcastique du grand art. Will Benedict peut tout mettre dans ses œuvres, rage et émotion, questions de peinture, reflets du contexte de l’art et questions d’actualité.
Du 6 mai au 7 juin 2025, Galerie Balice Hertling, 84 rue des Gravilliers, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Núria Güell : Mots d’amour » à la Salle Principale. Courtesy de l’artiste et de Salle Principale
Núria Güell : Mots d’amour
En avril 2023, Núria Güell a été invitée par le Teatre Nacional de Catalunya à créer un projet sur l’amour en vue du festival ZIP programmé l’année suivante. Güell a recherché des personnes ayant exercé la violence, tué ou mis leur vie en danger au nom de l’amour. Elle en a choisi onze auxquelles elle a demandé d’écrire des poèmes et de venir les lire sur scène devant le public. De cette expérience, elle a tiré Mots d’amour. Un essai sur les passions, une installation dont l’une des versions est présentée à Salle Principale. Elle consiste en la diffusion sur cinq tablettes des enregistrements sonores de ces poèmes, qui sont des témoignages. À l’écran n’apparaît que le texte de la transcription. L’installation est accompagnée d’un film composé d’interviews d’une psychanalyste, d’une criminologue et d’un détective privé, qui interroge les effets de la passion amoureuse chez les individus et dans les sociétés. Les séquences sont entrecoupées de brefs extraits de chansons d’amour chantées par des interprètes aux visages floutés. Plutôt que de désigner des criminels potentiels, ce flou suggère la façon dont ces bluettes marquent notre inconscient et notre appréhension du réel. Les poèmes que diffusent les tablettes sont réglés à un même niveau sonore, et l’on doit s’approcher de chacune d’elles si l’on veut bien entendre les voix. Ces témoignages ne peuvent évidemment être que forts, mais l’on est aussi saisi tant par la qualité de l’écriture que celle de la diction ; et la distance apparente à laquelle les auteurs sont parvenus pour réaliser cette œuvre collective.
Du 3 avril au 17 mai 2025, Salle Principale, 28 rue de Thionville, 75019 Paris

Vue de l’exposition « Claudio Coltorti : Your perception doesn’t make it easier » à la Galerie Hussenot, Paris. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Hussenot. Photo : Aurélien Mole
Claudio Coltorti : Your perception doesn’t make it easier
« Your perception does not make it easier », titre de l’un des tableaux et de la nouvelle exposition de Claudio Coltorti, pourrait être une mise en garde, ou une invitation, un peu obscure, il est vrai. Si l’artiste a en grande partie renoncé au récit, chacune de ses œuvres repose néanmoins sur un schéma figuratif que l’on identifie plus ou moins. Dans ses toiles plus anciennes, les figures prenaient toutes les places et leurs mains énormes venaient souvent au premier plan. Il en est resté une approche enveloppante et un goût prononcé pour les courbes. On oublie facilement les restes d’anecdotes pour ne plus considérer que le modelé, les gradations de tons et les jeux de transparence. On passe d’une suggestion de paysage à celle d’une foule compacte sans que l’on puisse parler de différence de genre. Dans un tableau nommé Late afternoon drifting, on croit reconnaître en bas une rangée de peupliers ployant sous le vent, et pour le reste un horizon un peu confus où se rejoignent l’orangé, le rose et le violet. Cela peut évoquer un retour aux sources d’une abstraction nourrie de théosophie et de symbolique des couleurs. À y regarder mieux, on découvre qu’un large ovale à droite est l’ébauche d’un visage et que ce que nous avions d’abord pris pour une masse nuageuse pourrait être un très gros poing fermé. Cette façon pour la figure de se fondre dans le paysage, ce délicat glissement vers l’indéterminé signe un passage vers une autre idée du tableau.
Du 10 avril au 17 mai 2025, Galerie Hussenot, 5 bis rue des Haudriettes, 75003 Paris