Rashid Johnson : « Anima »
« Anima » est le titre qu’a choisi Rashid Johnson pour son exposition portée par le thème de l’âme et des questions animistes. Avec les Soul Paintings et Standing Soul Sculptures, les God Paintings et les Red Chairs, il offre sa vision de l’intériorité. Une forme unit toutes les œuvres, la vesica piscis, cette amande que dessine l’intersection de deux cercles de même diamètre, symbole millénaire dans lequel l’artiste voit l’expression de la liminalité. Les Soul Paintings sont faites de nombreuses lignes, lignes reprises, retravaillées pour dessiner au centre de la toile un crâne ou une cage thoracique ou l’un et l’autre. Les vesica piscis peints à l’horizontale figurent les yeux ou les seins. Plus qu’à des images mortifères, on pense au pneuma, ce souffle qui unit le physiologique et le spirituel. Les Standing Soul Sculptures, structures arachnéennes en bronze, semblent directement issues des tableaux. Sur elles on remarque des coquillages qui donnent la mesure du temps.
La deuxième partie de l’exposition est construite autour des God Paintings. Sur ces toiles d’un rouge profond, le motif en amande est répété, soit peint d’une nuance plus claire, soit tracé au couteau dans la matière, de manière à former des trames. Celles-ci n’ont rien de mécanique mais montrent au contraire la répétition comme un travail avec des variations d’intensité ; elles sont plus proches du mantra visuel que de la grille moderniste. Au centre de la pièce, trois Red Chairs de bronze sont placées en cercle. L’amande est pliée pour former une assise et sa forme se retrouve aussi dans des ouvertures pratiquées dans le dossier et sur le piètement. Elles ont été façonnées dans l’argile avant d’être coulées et portent l’empreinte des mains de l’artiste.
Dans l’ultime salle est projeté le film Sanguine dans lequel l’artiste se met en scène avec son père et son jeune fils. Ce sont des scènes quotidiennes traversées par des illuminations ou des épiphanies, que ce soit à partir d’un morceau de viande qui grille ou du soleil regardé en face.
Du 14 octobre au 21 décembre 2024, Hauser & Wirth, 26 bis, rue François Ier, 75008 Paris
Kirsten Everberg : E 1027
Kirsten Everberg peint la nature ou l’architecture en bâtissant souvent des séries autour d’un thème de nature historique ou d’un récit de fiction. L’objet de son investigation et de son travail est cette fois la Villa E-1027 conçue par Eileen Gray avec Jean Badovici et pour servir de résidence à celui-ci. Badovici attira dans la villa Le Corbusier qui voulut laisser sa marque en peignant un ensemble de fresques. Cette histoire de profanation et d’appropriation d’un chef-d’œuvre du modernisme n’est pas directement le sujet mais elle éclaire partiellement la démarche.
Les tableaux, neuf en tout, présentent une série de vues d’intérieur et d’extérieur du bâtiment à la façon d’un reportage avec des choix de cadres pas toujours conventionnels. L’artiste a peint sur des panneaux de bois en mêlant peinture à l’huile et peinture à l’émail. Cette association des deux matières combinées à des jeux subtils sur les rapports entre intérieur et extérieur, sur les manières de peindre, produit des effets surprenants. La rigueur géométrique des pièces de mobilier, de la plomberie, des carrelages ou des persiennes se liquéfie comme sous la vibration de la lumière, la végétation barbouillée pénètre la maison par les ouvertures. Everberg nous entraîne dans une découverte progressive et subjective de la villa et s’immisce dans l’histoire. Dans une vue du salon, elle a par exemple figuré d’une façon schématique, quasi gestuelle, la fresque de Le Corbusier. Mieux encore, elle peint l’extérieur d’une des portions du bâtiment en bleu avec un motif végétal qui serait comme une ombre portée. L’ensemble de la série forme une enquête et une lecture menée en peinture. L’espace ultra-lumineux de la galerie et sa mezzanine s’accordent parfaitement au thème.
Du 21 octobre 2024 au 18 janvier 2025, Galerie Hussenot, 5 bis rue des Haudriettes, 75003 Paris
Mehdi-Georges Lahlou : À l’ombre des palmiers
Le palmier occupe une place importante dans le travail de Mehdi-Georges Lahlou et a dans sa nouvelle exposition un rôle central. Si cet arbre n’explique pas tout, il permet de dire beaucoup et de croiser des discours et des préoccupations d’ordres divers. La Conférence des Palmiers est un ensemble de six céramiques en grès qui représentent des troncs calcinés de tailles et de formes diverses. Cette conférence de fantômes, l’artiste se charge de l’amplifier, de lui donner un large écho en recourant à un nombre conséquent de médiums : de la tapisserie à la vidéo, de la sculpture à la photographie. Détournant la manière dont l’art national a pu utiliser la figure du colonisé, Lahlou empile des têtes de noirs et leur adjoint des tiges pour en faire un Totem dattier ou, dans un esprit de calambour, contamine la figure du noir avec les fruits du grenadier (Of The Grenadier, vert-de-gris). Avec humour sont pointées la violence des représentations mais aussi les conventions nouvelles de l’art postcolonial. L’exposition n’est pas seulement foisonnante et allusive, elle offre aussi une variété de registres. Dans une vidéo tournée dans un jardin botanique, la parole est donnée au palmier par le biais d’une interprète qui lui prête sa voix et une figure non binaire en pagne et talons hauts vient nous faire l’éloge de l’écologie queer. De la fantaisie on glisse à l’élégiaque avec une série de photos d’arbres sur les tirages desquelles ont été appliquées des cendres de palmiers morts.
Du 16 novembre 2024 au 18 janvier 2025, Galerie Papillon, 13 rue Chapon, 75003 Paris
José Gabriel Mendoza & John Ricardo Cunningham : La Palabra del Mudo
Ce qui réunit John Cunningham (1918-1991) et José Gabriel Mendoza (1936-2010) c’est d’avoir été à Lima parmi les ultimes patients dont l’éminent psychiatre Honorio Delgado a collectionné les œuvres et soutenu la création. Les deux ont vécu internés pour la quasi-totalité de leur vie adulte. Les gouaches et pastels de Mendoza qui sont exposées s’échelonnent des années 1970 au début des années 1980. Très colorés, nourris par l’observation et par la fantaisie, ils puisent une part de leur inspiration dans des photos de magazine ou des reproductions d’œuvres. C’est un univers de passions qui rend compte aussi bien du sentiment amoureux, que de la dévotion religieuse, de la plus profonde solitude que de l’amitié fusionnelle.
À mille lieues de ces peintures vibrantes que, par commodité on qualifiera d’expressionnistes, John Cunningham ne cesse de répéter, d’enrichir et de corriger ses représentations géopolitiques. Il construit très fréquemment ses gouaches à l’intérieur d’un espace délimité par la carte du continent américain et celle (méconnaissable) l’Europe. Entre ces continents à la dérive, il multiplie les représentations de figures d’autorités à chapeau, souvent des oiseaux ou bêtes à cornes et jongle avec les noms des pays, des continents et des civilisations, mais aussi des drames de l’histoire. Dans un accablement et une confusion apparents, ces poèmes parviennent à faire entendre une vérité.
Du 14 novembre au 7 décembre 2024, christian berst – art brut, 3-5 passage des Gravilliers, 75003 Paris