Le dernier tableau connu du Caravage va être présenté à la National Gallery de Londres dans le cadre de l’exposition « The Last Caravaggio » (Le dernier Caravage), qui se tiendra du 18 avril au 21 juillet 2024. Le Martyre de sainte Ursule (1610) sera prêté par les Gallerie d’Italia de Naples, qui font partie du réseau des musées Intesa Sanpaolo financé par la banque éponyme.
L’œuvre n’a été réattribuée au Caravage que dans les années 1980, après la découverte d’une lettre décrivant sa commande, document qui figurera également dans l’exposition. Le tableau, réalisé à Naples à la demande du noble génois Marcantonio Doria, a été peint peu avant que l’artiste ne quitte la ville pour Rome au milieu de l’année 1610, dans l’espoir d’être gracié après avoir tué un homme lors d’un combat à l’épée quatre ans plus tôt.
Le Caravage est mort en chemin, mais cet ultime autoportrait représente le moment où la sainte, ayant refusé d’épouser un Hun qui ne partageait pas sa foi chrétienne, est abattue par lui d’une flèche. Derrière sainte Ursule, on aperçoit un personnage que l’on croit être le Caravage, qui regarde dans l’ombre.
« Peu de tableaux sont mieux placés pour raconter l’histoire des dernières années du Caravage que sa dernière œuvre connue, Le Martyre de sainte Ursule, indique un communiqué de la National Gallery. Ce tableau est présenté à Londres pour la première fois depuis 20 ans. Nous assistons à une scène de violence provoquant le malaise chez le spectateur. Le Caravage nous montre un jeu complexe de mains coupables et innocentes. Et son propre autoportrait nous regarde, impuissant. »
La provenance de l’œuvre est marquante : elle est allée à Gênes, conformément à la commande originale, puis est retournée à Naples en 1832. Elle a été transmise par héritage à la branche Doria des princes d’Angri, pour finir, environ un siècle plus tard, dans la famille romaine d’Avezzano. Le tableau a refait surface lors d’une exposition en 1963 et a ensuite été acquis – en tant qu’œuvre initialement attribuée à l’artiste baroque italien Mattia Preti – par la Banca Commerciale Italiana en 1972. En 1999, la Banca Commerciale Italiana a été absorbée par la Banca Intesa Sanpaolo qui est devenue la nouvelle propriétaire du tableau.
Mais pourquoi cette lettre, découverte en 1980, est-elle si importante ? « Les lettres de mai 1610, trouvées dans le fonds Doria d’Angri des Archives d’État de Naples, ont permis d’établir sans équivoque que le tableau est de Caravage [et] de le faire remonter à une commande du Génois Marco Antonio Doria [Marcantonio Doria], en fixant sa date et en identifiant son sujet qui, jusqu’alors, était si obscur qu’il pouvait être interprété comme une scène allégorique générique », explique Michele Coppola, directeur des Gallerie d’Italia, à The Art Newspaper. Et d’ajouter : « La découverte de ces lettres a également facilité la poursuite des recherches dans le même fonds documentaire, ce qui a permis de reconstituer l’histoire ultérieure du tableau et ses déplacements jusqu’à son arrivée dans les collections de la banque. »

La restauration du tableau en 2003 a révélé une main cachée qui se tend pour « tenter de protéger la jeune femme de la torture ».
Web Gallery of Art via Wikimedia Commons / The Art Newspaper
Au fil des ans, divers projets de restauration ont révélé comment le tableau, qui avait été laissé au soleil, s’est transformé, révélant même une main cachée. L’intervention la plus récente sur Le Martyre de sainte Ursule a été réalisée entre 2003 et 2004 à l’Institut central de restauration de Rome par Carlo Giantomassi et Donatella Zari. Ce nettoyage approfondi, ainsi que les analyses qui l’ont précédé, ont révélé l’histoire agitée du tableau, qui s’étend sur plusieurs siècles, explique Michele Coppola.
« Il s’agit d’une histoire documentée dès le début, tirée de la lettre de Lanfranco Massa à Marco Antonio Doria datée du 11 mai 1610, dans laquelle nous apprenons que le Caravage avait utilisé un vernis ''très épais''lors de l’exécution du tableau et que Lanfranco, pour gagner du temps, avait essayé de le sécher au soleil [Massa était l’agent de Doria à Naples], poursuit le directeur. Les effets furent désastreux, provoquant une distension générale des surfaces chromatiques, et le peintre dû retoucher le tableau avant qu’il ne parte pour Gênes. »
Un document datant de deux siècles plus tard (1831) signale la toile comme étant « très endommagée par le temps et par d’anciennes restaurations ». L’une de ces premières interventions a dû suivre de peu la mort de Marcantonio Doria en 1651, ajoute Coppola.
« Elle avait surtout entraîné une augmentation de la hauteur de la toile, d’environ 13 centimètres, avec des conséquences non négligeables : la juxtaposition des deux supports a compromis la disposition primitive, avec d’inévitables altérations de la couche de peinture ; les plis du rideau à l’arrière-plan ont été interprétés à ce moment-là comme des lances et dotés de pointes incongrues ; les couleurs générales ont été adoucies par des voiles brunâtres, à la recherche d’une impossible homogénéisation de la surface », précise-t-il.
Jusqu’à la dernière restauration de 2003, une ombre étrange était visible au centre du manteau de la sainte. « Il s’agissait de l’ombre de la main droite du personnage à l’arrière-plan, à droite d’Ursule, qui n’avait été réalisée qu’avec des bruns et qui avait pratiquement disparu après une première restauration incongrue dans les années 1970. La restitution de cette main tendue vers le spectateur – tentative extrême de protéger la jeune femme de la torture, signal de l’instant du départ de la flèche – dilate l’espace de la scène et rétablit cette composition chorale et centripète qui caractérise nombre d’œuvres de l’artiste après sa dernière fuite de Rome. »
Le Martyre de sainte Ursule sera présenté à côté d’une œuvre du Caravage appartenant à la collection de la National Gallery, Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (1609-1610). L’entrée à l’exposition, qui s’inscrit dans le cadre des célébrations du bicentenaire de la National Gallery, sera gratuite.