Olivier Mosset
Dans le cadre presque intimiste d’une galerie, Olivier Mosset présente deux très grands polyptyques récents et des œuvres de différentes époques, à commencer par un des cercles noirs sur fond blanc, son quasi-acte de naissance en tant que peintre. Le rapprochement de ce dernier tableau avec un groupe de six carrés noirs peints à la peinture polyuréthane offre un beau raccourci de près de soixante ans d’activité. Soit d’un côté la façon à demi conceptuelle de poser la fin de la peinture au centre du jeu, et de l’autre l’affirmation du tableau, comme idée inépuisable, comme modèle capable de tenir par la seule force de la couleur. Sans discours, ni théorie, Mosset s’est construit en tant que peintre du monochrome et, à partir de cette position, il aura touché à l’objet, au langage, au mural, toujours dans un esprit d’aventure et de jeu. Il a aussi multiplié les associations et les collaborations.
Ce qui a des airs de rétrospective compressée est une bonne occasion de se rapprocher des œuvres monumentales, de regarder d’un peu près chacun des tableaux et comparer les manières de peindre. L’artiste a plus d’une façon de marquer sa neutralité dans l’exécution. Deux petits formats, un jaune, un brique, sur châssis mince, semblent flotter dans l’espace dans un esprit « Light and Space », tandis que le grand ensemble en damier blanc et vert a un caractère architectural. Au sous-sol, quatre sérigraphies sur papier fuchsia et noir, en verticales et horizontales, montrent que Mosset peut le moins comme le plus.
Du 30 janvier au 24 février 2024, Les Filles du Calvaire, 21, rue Chapon, 75003 Paris
Chibuike Uzoma : Twelve Tickets
« 12 Tickets » comme les 12 tableaux que Chibuike Uzoma a choisi pour sa première exposition parisienne. De format vertical, avec en haut de chacun d’eux des mots tracés en noir au pochoir. Sur les bords de larges zones de blanc et au centre (ou légèrement décentré), une ligne ou bande de fracture noire ou sombre. Se mêlent différentes techniques (huile et bombe aérosol), différents registres et langages picturaux : visages ou fragments de visages brouillés, lignes tubulaires ou taches marbrées ou ressemblant à des blocs de chair, mais aussi des formes nettes, cercles ou demi-cercles qui ébauchent une trame. La toile ressemble à une surface de travail où viendraient se rejoindre l’écriture (les mots comme une scansion ou une trouvaille poétique), la peinture, la photo, voire l’image électronique.
Dans Mother, Mother… Times have changed (titre commun à plusieurs tableaux), sur lequel on peut lire « His Son His Malaria », se détachent deux têtes en silhouette séparées par un intervalle noir. À l’intérieur de ces silhouettes des vaporisations de rouge et de rose mais aussi des narines ou des lèvres nettement modelées, et par-dessus des tubes hyperréalistes dans les mêmes tons, et des nuages de chair. Au-delà du geste esquissé (un baiser ?), c’est la possibilité de l’image qui fait sujet.
Sur un autre tableau, on voit le baiser de Judas pris chez Pasolini, la gueule ouverte d’un fauve et, sous des « $ » inversés, de gros flocons d’azur. Ces deux exemples montrent que les œuvres de Chibuike Uzoma sont des constructions à double ou triple fond portés par les mots et le vif de la peinture.
Du 26 janvier au 23 mars 2024, Galerie Mitterrand, 79 rue du Temple, 75003 Paris
Diana Thater : « The Conversation »
Pour nous faire entrer dans « The Conversation » de Diana Thater, des fauteuils ont été disposés au centre de la galerie. Autour d’eux, sur trois murs, trois écrans 4K suspendus à la verticale diffusent en boucle l’image d’un perroquet sur fond noir. Trois gros haut-parleurs avec des câbles laissés bien visibles leur sont associés. Deux des haut-parleurs diffusent chacun une voix et ces deux voix sont, si l’on peut dire, en dialogue. L’une est masculine et autoritaire, l’autre est féminine et très juvénile ; les deux probablement déformées au point de sonner presque artificielles. Ce que dit la première voix, la deuxième le répète invariablement : beaucoup de verbes à l’infinitif (certains accordés aux humains, d’autres aux oiseaux), mais aussi des phrases d’où se dégage une vision de l’existence sans gaîté. On n’est pas surpris d’apprendre que des extraits de Good Boy Bad Boy de Bruce Nauman sont cités dans l’échange. La troisième voix est celle d’un perroquet qui, ignorant qu’on l’observe, chante librement. C’est évidemment très beau autant que surprenant. L’allégorie est assez transparente : un humain fait le perroquet tandis que l’oiseau échappe à sa caricature et se permet d’être lui-même en oubliant les constructions verbales. C’est peut-être ça une allégorie réelle.
Du 25 janvier au 24 février 2024, Galerie Hussenot, 5 bis rue des Haudriettes, 75003 Paris
Camille Fischer : « Oh ! Violette ou la politesse des végétaux »
Tirant son titre (augmenté d’une exclamation) d’un récit érotique de Lise Deharme, « Oh ! Violette ou la politesse des végétaux » est une installation immersive portée presque exclusivement par le dessin. Sur deux grands murs, Camille Fischer a superposé et fait se chevaucher des dizaines d’œuvres à l’encre et à la gouache sur papier, et sur les autres elle a conçu un accrochage dense d’œuvres sur papier, mousseline ou organza. Les deux murs composent chacun un ensemble décoratif dans des tons bruns, cuivre, gris, argent. On y voit répétés des dessins de volutes en arabesques, des trames de pois blancs ou dorés, et des bandes horizontales ou verticales avec des variations d’épaisseur et d’intensité. Cela tient à la fois du papier peint et du montage, un croisement de décadentisme et de rigueur abstraite. Sur l’un des murs est accrochée en ligne une série de dessins encadrés qui font penser à des masques ou à des crânes momifiés. Des chaînes en anneaux de bois, des tresses de cheveux ajoutent un supplément d’étrangeté, alors qu’on lit sur un dessin « Dead Moon » et sur un autre « Nihilistics ». Par la répétition insistante de quelques motifs qui lui font traverser les époques et les styles, Camille Fischer construit, non sans humour, une atmosphère et un territoire ouvert aux fictions.
Du 27 janvier au 24 février 2024, Galerie Maïa Muller, 19 rue Chapon, 75003 Paris