Connu pour ses travaux monographiques consacrés à Andy Warhol ou Edward Hopper, Alain Cueff élargit le champ de ses investigations avec Ciels d’Amérique, une traversée de l’art étatsunien des XIXe et XXe siècles. L’ouvrage couvre une période s’étendant de 1801, date de naissance de Thomas Cole – peintre réaliste emblématique de la Hudson River School, renommé pour ses représentations de la wilderness, « idéal terrestre» qui ne peut être « projeté sans être aussitôt défiguré » que dans le ciel (p. 49) –, à 2001, année dans laquelle, par anticipation, Stanley Kubrick avait situé son Odyssée de l’espace vers Jupiter et par-delà l’infini; cette même année au cours de laquelle, dans les faits, les attentats du 11 septembre ont ramené, à New York, deux des gratte-ciel les plus hauts du monde à un ground zero.
L’auteur suit le motif du ciel, cet « invariant dont il s’agit d’explorer les discrètes vertus critiques » (p. 25), depuis la peinture de paysage qui a contribué à modeler, voire à exalter l’imaginaire national, jusqu’à l’ensemble Course of Empire montré par Ed Ruscha à la Biennale de Venise en 2005. Cette dernière œuvre est un hommage au cycle de Thomas Cole du même titre qui substitue à cette « fable tragique sur le destin de l’humanité » « la médiocrité architecturale de la banlieue industrielle universelle où le travail a été déporté » et qui « ne saurait produire les ruines avantageuses de l’époque romantique » (p. 498).
LE CIEL, UN MOTIF INCONTOURNABLE
Chacun des dix chapitres qui composent l’ouvrage est centré sur un ou deux artistes (Thomas Cole, Winslow Homer, Albert Pinkham Ryder, George Bellows, Alfred Stieglitz, Marsden Hartley et Georgia O’Keeffe, Thomas Hart Benton, Jackson Pollock et Barnett Newman, Robert Smithson et Walter De Maria, Ed Ruscha et Jack Goldstein). Les artistes sont reliés entre eux par-delà les époques, par-delà les mouvements auxquels on les a rattachés et la marche de l’histoire de l’art dans laquelle ils ont été inscrits; la vision d’ensemble s’appuyant toujours sur un regard au plus proche des œuvres.
Car le ciel est autant un problème, voire un défi plastique, induisant une conception spécifique de la représentation et de l’espace, qu’une question métaphysique suscitant une mosaïque de réponses, du panthéisme et des pensées de la nature de Henry David Thoreau ou Ralph Waldo Emerson aux diverses formes de transcendance et de spiritualité qui se sont fait jour au fil du temps dans ces États-Unis marqués par le puritanisme et le pragmatisme. On ne saurait donc y échapper. Et si Alfred Stieglitz, dans ses Equivalents, procède à la séparation du ciel qui, jusque-là, était « rapporté » par montage photographique à la terre, le land art s’affirme, sous l’œil aiguisé et précis d’Alain Cueff, comme un mouvement non seulement à la poursuite d’un ancrage dans la matérialité du sol, mais aussi d’un horizon, le regard pointant vers le ciel.
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Alain Cueff, Ciels d’Amérique. 1801-2001, Paris, Les Belles Lettres, 2023, 576 pages, 230 illustrations, 39,50 euros.