La reine Élisabeth II, monarque du Royaume-Uni et propriétaire fiduciaire de l'une des plus grandes collections d'art au monde, est décédée le 8 septembre 2022, à l'âge de 96 ans. Bien que la monarque soit apparue constamment dans les médias au cours des 70 dernières années, nous ne savons que peu de choses sur ses goûts personnels. Mais il semble que les arts visuels ne figuraient pas en bonne place sur la liste de ses centres d’intérêt. Ses passe-temps favoris, si l’on peut s’exprimer ainsi, étaient les chevaux et les chiens. Pourtant, paradoxalement, Élisabeth II a fait plus que tous ses illustres prédécesseurs pour partager ses trésors royaux.
Et elle était est à la tête d’une formidable collection ! 7 600 peintures (plus de trois fois le nombre de tableaux conservés à la National Gallery de Londres), 2 000 miniatures (la plus grande collection au monde) et plus de 500 000 gravures et dessins, sans oublier le mobilier, les céramiques, les horloges, les armes et armures, les archives, les livres, les photographies et, bien sûr, les joyaux de la couronne. Cet ensemble, qui est l’une des dernières grandes collections royales européennes à être restée intacte, témoigne des goûts personnels des monarques sur une période de 500 ans.
La Collection royale a un statut inhabituel. Comme l’expliquait un porte-parole, « elle est détenue en fiducie par la reine en tant que souveraine pour ses successeurs et la nation. Elle n’en est pas propriétaire en tant que personne privée. »
Nous avons peu d’idée de ce que la reine pensait réellement de cette stupéfiante collection – et si elle préfèrait Franz Xaver Winterhalter, l’artiste favori de la reine Victoria, à Andy Warhol. Le protocole exige que les journalistes ne posent jamais de questions à la monarque et elle se livrait peu. S’exprimer sur ses goûts personnels aurait affaibli l’autorité morale dont elle disposait pour représenter tous ses sujets.
Lors de l’accession d’Élisabeth au trône en 1952, le Surveyor of the Queen’s Pictures n’était autre qu’Anthony Blunt, qui l’a servie jusqu’en 1972. C’est lui qui l’a véritablement initiée aux beaux-arts. Six ans après la retraite de Blunt, il a été révélé qu’il avait également travaillé comme espion pour l’Union soviétique. Les successeurs de Blunt au poste de Surveyor ont été Oliver Millar (1972-1988), Christopher Lloyd (1988-2005) et Desmond Shawe-Taylor (2005-2020).
La création de la Queen’s Gallery
Anthony Blunt a supervisé une initiative majeure pour la diffusion de la Collection royale. Il s’agit de la création de la Queen’s Gallery, construite à côté de Buckingham Palace, sur le site d’une chapelle bombardée par la Luftwaffe en 1940. Depuis son ouverture en 1962, la Queen’s Gallery a proposé une série continue de 82 expositions thématiques présentant des œuvres de la Collection royale. La dernière en date, « Japan: Courts and Culture » (jusqu’au 26 février 2023), présente des objets réunis par les monarques successifs.
Mais le plus grand changement est intervenu après le désastreux incendie du château de Windsor en 1992. Jusqu’alors, la collection était gérée directement par la famille royale, mais depuis 1993, elle est hébergée dans un trust caritatif, chargé de la conservation des œuvres d’art et de les diffuser, et financé par les revenus perçus grâce à l’ouverture des palais royaux à la visite. Et, rompant avec la tradition, Buckingham Palace a accueilli le public en été, à une période où la reine n’y était normalement pas en résidence, ce qui a constitué une nouvelle source importante de revenus.
Bien que la reine prenne les décisions officielles (notamment pour toutes les acquisitions et demandes de prêt), la Collection royale est dirigée par un directeur (qui est au-dessus du Surveyor), actuellement Tim Knox, titulaire du poste depuis 2018. Ses prédécesseurs ont été Oliver Millar (1987-1988), Geoffrey de Bellaigue (1988-1996), Hugh Roberts (1996-2010) et Jonathan Marsden (2010-2017).
Le nouveau système a parfaitement fonctionné, du moins en ce qui concerne la conservation et la diffusion de la collection. Depuis 1993, le trust a consacré une grande partie de son excédent à trois projets principaux : la rénovation du château de Windsor après l’incendie de 1992, l’agrandissement de la Queen’s Gallery en 2002 et la création d’une nouvelle galerie à Holyroodhouse, à Édimbourg, également en 2002.
Sous Élisabeth II, les principales priorités de la collection ont été l’accès du public, la conservation et l’inventaire. Bon nombre des plus belles œuvres d’art peuvent être admirées dans les 15 résidences royales ouvertes au public (surtout le château de Windsor, le palais de Buckingham, Holyroodhouse, Hampton Court, la Tour de Londres, Osborne House et le Royal Pavilion de Brighton). C’est un privilège de voir des œuvres d’art dans le cadre historique pour lequel elles ont été commandées ou acquises à l’origine, ainsi que des expositions temporaires dans les palais et la Queen’s Gallery.
Des expositions itinérantes sont organisées, tant au niveau national qu’international. Et des œuvres sont prêtées pour des expositions réalisées par d’autres musées et sites.
Tout allait bien pour la Collection royale jusqu’à la pandémie de Covid-19. Au cours de l’exercice 2020-2021, le nombre total de visiteurs a chuté de 3 285 000 à 155 000, avec le confinement et l’absence des touristes internationaux. Les recettes sont passées de 72 millions de livres sterling (83 millions d’euros) à 7 millions de livres sterling (8 millions d’euros). Les chiffres récents pourraient être presque aussi mauvais, le Royaume-Uni n'ayant commencé à sortir de la pandémie qu’au début de cette année 2022.
Une restructuration inévitable a entraîné la suppression de 165 emplois au sein de la Collection royale, soit 30 % du total. Parmi les départs malheureux, celui de Shawe-Taylor, avec pour conséquence, au moins temporairement, la vacance du poste de Surveyor of the Queen’s Pictures, un titre vieux de 400 ans.
Rareté des acquisitions
Une enquête menée par The Art Newspaper sur les 50 premières années du règne d’Élisabeth II a révélé que seuls 20 tableaux avaient été acquis, un ajout très modeste aux 7 600 tableaux de la collection. L’étude ne portait que sur les peintures (et non sur les autres œuvres d’art) et toutes les nouvelles pièces sont des portraits : deux de la reine, deux de ses éminents sujets et 16 de personnages historiques. Le coût total est estimé à quelques centaines de milliers de livres. Au cours des 20 dernières années, les acquisitions se sont poursuivies à un niveau tout aussi faible.
Outre la Collection royale, certaines des autres activités de la reine ont concerné les arts visuels. Depuis plus de 250 ans, la monarque est impliquée dans la Royal Academy of Arts, en tant que « marraine, protectrice et soutien ». Elle a posé pour des dizaines de portraits, apprenant à connaître les artistes, parmi lesquels Pietro Annigoni (en 1954 et 1969) et Lucian Freud (2001).
Et bien que l’implication d’Élisabeth II dans les arts visuels ait pu être limitée, elle a été entourée par des membres de sa famille proche qui sont très intéressés par la création. La reine mère était une grande collectionneuse, achetant des tableaux de Monet et de Sisley. Le mari d’Élisabeth II, le duc d’Édimbourg (décédé en avril 2021), était un aquarelliste passionné, ayant pour professeur Edward Seago, tout en étant un collectionneur à titre personnel. Et son fils, Charles, est encore plus doué pour l’aquarelle, tout en ayant un intérêt profond pour le patrimoine bâti.
Bien que la Collection royale soit au nom de la reine, celle-ci a largement laissé à Charles le soin de superviser son administration. Il a été le premier président du Royal Collection Trust, pendant 28 ans, jusqu’en mars 2021, date à laquelle il a cédé sa place au banquier James Leigh-Pemberton. Ce changement a peut-être été jugé prudent en prévision du jour où le prince de Galles hériterait du trône – ce qui est désormais le cas, devenu le roi Charles III depuis le décès de la reine Élisabeth II. Il aurait été inapproprié que le monarque en conserve la présidence.
Le peu d’acquisitions réalisées pendant le règne d’Élisabeth II peut décevoir. Mais il est ici difficile de répartir la responsabilité entre la reine, qui prend les décisions officielles, et la collection, qui fournit des conseils en matière de conservation. Mais à long terme, l’absence d’acquisitions semble regrettable. Comme l’a dit un jour le prince Charles, pas encore roi : « chaque monarque a demandé à des artistes contemporains de représenter divers aspects de leur vie : les grandes occasions familiales, leurs enfants, leurs chiens, leurs chevaux, leurs amis, les grands hommes d’État et les événements nationaux. »