Jagdeep Raina : Towards the valley
Jagdeep Raina est de nationalité canadienne mais sa famille est originaire du Cachemire. Pour sa première exposition parisienne, il a choisi comme thème conducteur le châle cachemire dont la vogue commence en Europe aux toutes premières années du XIXe siècle. On y voit par exemple, un grand dessin à l’encre, une scène de rue de ville indienne, où Madame Rivière(celle d’Ingres) – et son châle – s’y trouve affichée avec de grosses larmes dans un style résolument naïf. On y voit aussi une petite pièce de broderie porteuse d’une image et d’un message vibrant et triste.
Le style des dessins est d’une maladresse calculée pour ce qui est des figures mais avec de savantes constructions d’espaces. Les œuvres les plus frappantes sont des dessins à l’encre encadrés de larges bandes de tissus sur le modèle des courtepointes. Dans une suite en six scènes, Jagdeep Raina dépeint une époque coloniale idéale dans des tons mauves. En opposition stylistique et chromatique (du vert, du jaune, du noir) avec cette suite, une autre courtepointe encadre le dessin d’une vache dans un paysage vallonné. Face à l’animal, mais comme noyée dans le paysage par une représentation enfantine, se tient une souveraine d’Europe sur son trône. Cette rage, doublement manifestée, dit que le décoratif n’est pas fait pour nous endormir, et que l’appropriation d’un artisanat non-occidental ne saurait à elle seule valoir comme geste critique.
Du 20 avril au 3 juin 2023, Galerie Anne Barrault, 51 rue des Archives, 75003 Paris
Mark Geffriaud : Tes mais
Mark Geffriaud a drastiquement réduit (des trois-quarts au moins) l’espace d’exposition de la galerie gb agency. Ce qui nous accueille, c’est un mur couvert de grandes images en papier affiche et de grandes bandes de texte disposées verticalement. Sur ces images, ou à côté, sont accrochées çà et là de petites photos (reproductions de pages sans doute) maculées de taches de nitrate d’argent qui font un miroir. La plus marquante de ces photos est un œil vu à l’horizontale entre les cils duquel flotte une de ces taches-miroirs en forme d’œuf. Les bandes de texte qu’on lit en penchant la tête reproduisent un extrait de L’Heure de l’étoile, ultime roman de Clarice Lispector. Sur la porte qui doit mener à la partie inaccessible de la galerie est affichée une grande photo en noir et blanc de Bruno Munari qui joue à se cacher derrière ses mains et, à l’autre extrémité du mur, une photo-affiche, également en noir et blanc, de la porte vitrée de la galerie donnant sur la rue. Cette description, bien évidemment sommaire (et qui ne dit rien, par exemple, de l’usage des bandes de texte), donne une idée de cette construction en rébus sur des questions de seuil et de seuil de visibilité. Ajoutons que des projecteurs vidéo diffusent en petit, en flou, et sans son, les images de la chaîne BFMTV.
Matériaux pour une exposition ou simplement réflexion sur l’exposition elle-même, sur ce qui nous guide, nous éclaire ou fait écran ? On apprend que l’espace condamné s’ouvrira pour une série de performances, « en dérivation », confiées à des invités, et qu’en dehors des heures d’ouverture de la galerie, on y travaille, crée, répète. L’exposition, déjà ouverte (façon de dire) mais qui n’a peut-être pas encore commencé, s’articule sur la négation et le dépassement. Pour lui faire écho, est mise en vente une lampe en édition et le produit de la vente sera versé à une association qui rachète des parcelles de forêt qu’elle libère de l’exploitation humaine.
Du 29 avril au 17 juin 2023, gb agency, 18 rue des Quatre Fils, 75003 Paris
Julie Beaufils
Le mode de composition de cette série de grandes toiles de Julie Beaufils est toujours à peu près le même : une division du tableau en deux ou trois larges bandes de couleur horizontale parfois séparées par une bande de toile brute (mais celle-ci, dans ce cas-là, est une couleur), peintes à l’huile d’une matière très fluide. Sur ces bandes viennent se poser des courbes ou des lignes marquées qui les relient entre elles, créent de la profondeur et définissent des plans successifs. Nous viennent des images d’architectures futuristes, puristes, ou de skateparks dans des espaces désertés. C’est de l’ordre de la suggestion plus que de la représentation. Parfois, c’est une ligne mince, presque un trait, qui suffit à créer cette profondeur, et c’est beau aussi. Ces courbes, ces tracés trouvent leur origine dans une pratique régulière du dessin. Certains exposés ici nous les montrent réalisés en volumes et nous éclairent sur le processus du travail.
En dépit d’allusions revendiquées aux road movies, on peut persister à y voir une peinture de nature abstraite, une façon de tracer des pistes dans les champs de couleur et ainsi de mettre en jeu l’idéale planéité moderniste. Une façon, si l’on veut, de passer du plan de couleur au plan de cinéma. En ce sens, et même si l’artiste évite de citer l’histoire de l’art, elle retrouve certaines des stratégies de Richard Diebenkorn.
Du 29 avril au 3 juin 2023, Balice Hertling, 84 rue des Gravilliers, 75003 Paris
« Greetings » : Getulio Alviani, Costanza Candeloro, Doriana Chiarini, Bernhard Hegglin, Gina Fischli, Lorenza Longhi, Jody Mack, Bruno Marabini, Emanuele Marcuccio, Daniele Milvio, Aldo Mondino, Angelo Savelli, Jan Vorisek
L’argument de « Greetings » – sous le commissariat d’Antonio de Martino et Edoardo Marabini –, rien moins que limpide, ne nous retient ni ne nous arrête. Cette réunion de pièces historiques de quelques artistes italiens et d’œuvres d’aujourd’hui d’autres créateurs, italiens ou suisses, vaut d’abord par la qualité du choix. Outre cela, la façon, presque naturelle, dont ces pièces cohabitent, nous fait oublier les écarts de génération entre les participants.
C’est l’occasion de découvrir deux pièces de Bruno Marabini, dans l’œuvre duquel Bruno Munari voyait « une archéologie mécanique primordiale ». Sa Sculpture de passage à fuseau dissolvant(1972) offre une vision post-léonardesque de l’art cinétique.
La question de l’enfance semble traverser l’exposition, que ce soit dans les sculptures de Doriana Chiarini, inspirées de détails du design le plus exubérant et de supports de chaises miniatures, ou dans les chaises à demi couchées sur leurs socles de Bernhard Hegglin qui copient les jouets articulés.
Outre l’enfance, le croisement de l’art et de l’artisanat, un autre thème sous-jacent pourrait être celui de la décroissance. Dans cet ordre d’idée, deux très beaux collages d’Angelo Savelli (l’autre monochrome blanc italien), exemples d’un idéal de pureté, trouvent à s’entendre avec deux assemblages de Jan Vorisek qui évoquent des objets électroniques en voie de recyclage.
Du 27 avril au 3 juin 2023, Galerie Hussenot, 5 bis rue des Haudriettes, 75003 Paris